Expulser. Un étranger hors de France et interdire son retour.

Expulser. « Une mesure administrative visant à éloigner un ressortissant étranger du territoire. »

Expulser. Un mot très fort, pour décrire une réalité.

L’expulsion est théoriquement « prononcée dans des situations graves, liées à la protection de l’ordre public ou en cas d’atteinte à la sûreté de l’État. » L’étranger étant renvoyé dans son pays d’origine, voire dans un autre pays, « la procédure [nécessite d’être] exceptionnelle, encadrée et doit être justifiée. »

Alors que l’histoire de l’apprenti boulanger Laye Traoré et celle du lycéen Elvis et sa famille cheminent à travers l’actualité, d’autres surviennent dans l’ombre.

C’est le cas par exemple de la famille Nasirov, mais aussi du jeune Sekou ou de Diviti et sa famille. Tous sont arrivés en France il y a plusieurs années, fuyant leurs pays en guerre ou dirigés par des dirigeants violents. Tous recherchent la paix et une nouvelle vie. Tous y ont goûté et sont à présent forcés de faire machine arrière.

Aujourd’hui, ils font face à de grandes difficultés pour renouveler leur titre de séjour, les critères étant en effet de plus en plus difficiles à atteindre, et ont reçu un avis d’expulsion.

Le cas de la famille Nasirov

La famille Nasirov vient d’Azerbaïdjan. En 2018, elle fuit vers la France après que le père a été emprisonné et maltraité de nombreuses années pour avoir manifesté son désaccord suite à une élection.

Une fois en France, le couple et leurs trois enfants commencent une nouvelle vie. Les aînés sont scolarisés à La Flèche (Sartre) et parlent très bien français. Le père travaille dans une entreprise du bâtiment à Sablé-sur-Sarthe.

Très satisfaite de lui, sa patronne souhaitait lui offrir un poste en CDI lorsqu’à la rentrée 2020, le couple fait face à une OQTF, Obligation de quitter le territoire français. Ses demandes de droit d’asile, déposées auprès de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés) et la CNDA (Cour nationale du droit d’asile), ont été rejetées, et les voilà forcés de quitter le territoire. Un recours a été déposé au tribunal administratif de Nantes, mais aucune audience n’a encore été envisagée, laissant la famille dans une situation très compliquée. « Des recours contre la mesure d’expulsion sont possibles, mais ils n’empêchent pas l’expulsion d’être exécutée. » décrète le site service-public.fr sur la question des expulsions, décrivant toute la complexité et l’absurdité de la situation.

Le collectif Accueil migrants de La Flèche soutient cette famille, tout comme la mairie qui va envoyer un courrier au préfet de la Sartre pour mettre fin à cette procédure d’expulsion.

Le cas de Sekou

Sekou, jeune Ivoirien vivant à présent en France, vient d’avoir 18 ans. Apprenti dans une crêperie à Argentin dans l’Orne depuis 2019, il n’est désormais plus considéré par la Préfecture comme mineur isolé bénéficiant de protection. Aujourd’hui, il est sans papiers ni revenus et fait l’objet à son tour d’une OQTF.

Ses patrons se sont mobilisés sur les réseaux sociaux pour contester cette décision administrative. Fin janvier, la pétition lancée recueillait plus de 54 000 signatures. Pour Yannick Burel, un de ses patrons, « jamais un stagiaire ne lui a semblé aussi motivé. […] Aujourd’hui, il a tout fait pour s’intégrer ici après 6000 kilomètres et des années de galère, de solitude et de doute, ajoute-t-il. Depuis qu’il sait qu’il risque de repartir, il ne dort plus et a maigri. Je vais vous dire, je suis inquiet pour lui. »

Un recours mettant en avant la situation stable de Sekou (scolarisé, suivant une formation professionnelle et ayant un patron fier de son travail) devant le tribunal administratif a été déposé, mais cela peut prendre plus de six mois. Mois durant lesquels Sekou n’a plus de travail ni de droits et peut être placé en rétention à tout moment. En attendant l’audience, son employeur rappelle que « plus il y a de signatures, plus on aura de poids devant le tribunal administratif ».

Yannick Burel a tout de suite fait le rapprochement entre l’histoire de Sekou et celle de Laye, apprenti boulanger de Besançon lui aussi menacé d’expulsion fin 2020. Ce dernier, à présent régularisé, avait obtenu plus de 242 000 signatures en sa faveur

Le cas d’une famille géorgienne de La Roche-sur-Yon

Originaire de Géorgie, cette famille habite à la Roche-sur-Yon depuis 2013. Sous le coup d’une OQTF, elle peut désormais être expulsée à tout moment.

Le couple et leurs trois filles ont « toujours eu confiance en notre pays, répondu à toutes les demandes, suivi des cours de Français, tissé des relations. », déclarent Marie-Bernadette Guignard-Guibert et Mathieu Trichet, responsables du comité de soutien créé à l’occasion.

Alors que les enfants ont été scolarisées à la Roche-sur-Yon, les parents ont suivi des cours de français et ont participé à de nombreux ateliers d’échanges. « Pour les trois petites filles, une expulsion serait un déracinement violent et insensé. Leur langue est le français, elles ont leur vie et leurs ami(e)s ici. […] Ce sont de bonnes élèves. », ajoutent les responsables du comité.

Par ailleurs, en cas de retour en Géorgie, la vie du père serait menacée. Malade, les médicaments qui lui sont vitaux ne sont pas tous disponibles dans leur pays d’origine, ou vendus à des prix exorbitants.

Aujourd’hui (fin janvier 2021), plus de 16 000 personnes ont signé la pétition en ligne demandant au préfet de la Vendée la régularisation de cette famille.

Le cas de Diviti et de sa famille

Diviti, son épouse et ses cinq enfants sont arrivés en France en 2018 après avoir fui la Géorgie. Après le refus de leur demande d’asile, ils s’étaient tout de même installés dans le Val-d’Oise et avaient débuté une nouvelle vie. Aujourd’hui, les cinq enfants fréquentent un établissement scolaire et apprennent le français.

Depuis plusieurs semaines, une mobilisation s’organise pour protester contre l’OQTF prise à l’encontre de Diviti. La situation est à présent très urgente, car le père de famille peut être expulsé à tout moment. Arrêté le 12 décembre sur son lieu de travail, il est, depuis, en centre de rétention administrative.

Le RESF (Réseau éducation sans frontières) se bat aux côtés de la famille. « La reconduite de Diviti A., principal soutien financier et affectif pour sa famille plongée dans l’angoisse depuis le 12 décembre 2020, porterait gravement atteinte au droit de ses enfants à ne pas être séparés arbitrairement d’un de leurs parents », déclarent des portes paroles du réseau. « La Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire, stipule que pour toutes les décisions administratives ou autres, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être une considération primordiale. », ajoutent-ils. Pour le réseau, les droits des enfants sont plus importants que le droit administratif et il va se battre pour obtenir raison.

Les enseignants du collège de Lizi et Salomé, les aînées des enfants, se mobilisent également et ont lancé une pétition. « L’expulsion menace l’équilibre déjà précaire de cette famille et risque de contraindre l’épouse et les enfants à un retour en Géorgie, pays qu’ils ont fui, anéantissant ainsi tous les efforts consentis par cette famille pour s’intégrer au mieux et pourvoir aux besoins élémentaires et éducatifs des enfants », peut-on lire dans cette pétition. « Lizi et Salomé sont assidues et ponctuelles […]. Elles font preuve d’une détermination rare et d’une réelle volonté de progresser », écrivent les professeurs du collège de deux des cinq enfants. Celles-ci « trouvent à travers l’école une stabilité, une sécurité jusqu’alors fragile, elles s’emparent du savoir qui leur est proposé et apprennent que la France est le pays des droits de l’Homme… ».

Le cas de Laye

Laye Fodé Traoré, jeune guinéen de 18 ans, est arrivé en France à l’âge de 16 ans. Mineur isolé sans papier, il est pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et devient apprenti dans une boulangerie de Besançon. Discret et avide d’apprendre, il donne rapidement une entière satisfaction à son patron et compte obtenir son CAP, en juin 2021.

Ayant à présent 18 ans, le jeune homme s’est vu refuser un titre de séjour par la préfecture de Haute-Saône car celle-ci considérait ses papiers d’identité comme non-authentiques. Cependant, selon son avocate, Me Dravigny, ces affirmations ne sont pas fondées.  Il recourt alors à la justice en saisissant le tribunal administratif de Besançon.

Le 3 janvier dernier, le patron de Laye, Stéphane Ravacley a débuté une grève de la faim pour protester contre son expulsion. Il se bat pour sauver Laye, mais aussi pour protester contre le gouvernement français. Il dénonce la « politique à court terme » du gouvernement : « ces gamins, on les accueille, les habille, les nourrit, on les forme jusqu’à leur majorité et à 18 ans, plus rien. Ils se retrouvent à la rue, aux mains des passeurs », proteste-t-il en soutenant « cette nouvelle génération de migrants qui arrive et peuple les boulangerie et les restaurants ». « Dès qu’ils sont majeurs, c’est comme si ils n’avaient plus le droit d’être là, ajoute-t-il. Ce n’est pas normal. Mon apprenti parle bien français et voudrait rester travailler. Pourquoi devrait-il partir ? »

Il n’est pas le seul professionnel concerné par la question. Plusieurs artisans lui ont téléphoné, disant être dans la même impasse que lui tout en peinant à trouver des apprentis. « Il y a une place pour lui dans mon fournil », insiste le boulanger qui prévoyait de le prendre comme ouvrier au terme de sa formation. « On perd 70% des jeunes après le CAP parce qu’ils n’ont plus envie ou parce que les patrons ne s’occupent pas bien d’eux. […] Alors pourquoi on n’accepte pas ces gamins qui meurent de faim dans leur pays et veulent travailler chez nous ? Ils ne prennent pas la place des Français ».

Cette affaire a aussi beaucoup ému Anne Vignot, maire de Besançon, qui a décidé d’envoyer un courrier au ministre de l’Intérieur pour protester contre cette expulsion. Une  mobilisation nationale s’est alors mise en place, grâce à une pétition, relayée, entre beaucoup d’autres, par le député européen Raphaël Glucksmann. À la fin de cette lutte, la pétition comptait plus de 242 000 signatures.

Finalement, le 14 janvier, après 10 jours d’attente, la situation de l’apprenti a été régularisée. Ainsi, grâce à la détermination et à la « France humaniste » qui a lutté aux côtés de Laye et Stéphane, ce combat a été gagné.

Le cas d’Elvis et de sa mère

« Un mineur ne peut pas faire l’objet d’une expulsion. Toutefois, il peut être éloigné avec ses parents s’ils sont tous les deux expulsés. »

C’est le cas d’Elvis Bajrami, 17 ans, arrivé du Kosovo il y a cinq ans avec sa mère. Le titre de séjour de celle-ci ayant été refusé, elle reçut une OQTF au mois de novembre 2020. Vivant seul avec elle, Elvis est par conséquent forcé de quitter le territoire lui aussi, avant même d’avoir obtenu son baccalauréat de français. Élève de Première dans un lycée de Dijon, il a été très difficile pour lui de s’imaginer repartir sans diplôme. « J’ai vu toutes ces années d’efforts tomber à l’eau. […] Je voyais déjà un avenir vers moi, j’ai construit une nouvelle vie et j’ai oublié l’ancienne. J’ai essayé de m’intégrer au maximum, j’ai beaucoup d’amis qui m’ont soutenu », a-t-il confié. « Actuellement, je peux me faire attraper à tout moment et me faire renvoyer. Et vraiment, je ne vis pas sereinement. Même quand je suis chez moi, je ne suis pas tranquille. Ça me stresse, je vis avec la peur ».

Cependant, son histoire a été très médiatisée et plusieurs personnalités publiques lui ont témoigné son soutien, telles que Raphaël Glucksmann ou Cyril Hanouna. Une pétition a ainsi été lancée pour contester l’expulsion d’Elvis et de sa mère, relayée de très nombreuses fois sur les réseaux sociaux et soutenue par le lycée du jeune homme. L’UNEF (Union nationale des étudiants de France) Bourgogne s’est également emparée de l’affaire, en faisant part notamment de son inquiétude face au durcissement de la politique d’accueil du gouvernement, en particulier envers les étudiants étrangers.

Finalement, la pétition recueillit plus de 50 000 signatures, et la mère d’Elvis reçut un récépissé avec un permis de travail le mardi 26 janvier 2021. Son titre de séjour devrait lui être remis prochainement. « Je suis très, très, très heureux. Je ne sais pas si j’ai déjà été aussi heureux de toute ma vie », a déclaré Elvis en apprenant la nouvelle.

Ainsi, bien que les exemples de Laye et Elvis nous montrent que nous pouvons changer l’issue de ces situations extrêmes, de très nombreux cas d’expulsions ne sont pas aussi médiatisés, et se terminent par le départ forcé de ceux qui reçoivent une OQTF . Le seul crime de ces migrants est de ne pas répondre aux critères très stricts imposés par l’État. Alors même que l’expulsion doit normalement être prononcée dans des situations graves, ils sont forcés de réintégrer un pays qu’ils ont fuis sans réellement comprendre la raison de leur expulsion.

Ces exemples de familles menacées dont les recours n’ont toujours pas été examinés en sont l’illustration. L’OQTF, toujours active, les menace en permanence, et il est difficile de les aider. Néanmoins, la mobilisation sur Internet a fait ses preuves quant à son efficacité. Il ne faut donc pas renoncer à se battre pour porter ces cas sous la lumière, et, chacun à son échelle, lutter pour que justice soit faite pour ces familles aux droits bafoués.

Manon Regnard