Depuis une vingtaine d’années, la situation au Congo se dégrade. Groupes armés, rébellions, massacres… Le pays est en proie à de nombreuses violences. Certaines personnes vont alors utilisé le terme de “génocide” afin de qualifier la situation. Mais peut-on véritablement utiliser ce mot pour parler des évènements qui se déroulent dans ce pays ?

Durant la campagne présidentielle congolaise de 2018, un sujet revint souvent au centre des débats : le conflit armé ébranlant la région du Kivu. Ainsi, durant certains débats télévisés, un des candidats, Martin Fayulu, qualifia la situation de “génocide”. Cependant, cette qualification fait encore aujourd’hui débat. Malgré la controverse, ce terme est actuellement utilisé de manière récurrente sur les réseaux sociaux. En effet, depuis quelques semaines, d’innombrables publications ont fleuri afin de dénoncer l’existence d’un génocide au Congo qui serait placé sous un lourd silence médiatique. De multiples personnalités ont ainsi publiquement pris position, relayant un certain nombre de chiffres alarmants concernant le massacre de populations locales. Certes, il est indéniable que la situation du Congo durant ces vingt dernières années est catastrophique et qu’elle s’est considérablement dégradée ces derniers mois mais, peut-on réellement parler d’un “génocide” comme tendent à l’affirmer certains ?

La définition moderne du terme génocide fut développée par le juriste juif polonais Raphael Lemkin durant la seconde moitié du XXe siècle. Celui-ci affirmait que : “Par génocide, nous entendons la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique.” Au contraire, le juriste britannique Hersch Lauterpacht, lui aussi formé à l’université de Leipzig, s’opposait vivement au concept de génocide puisqu’à ses yeux,  “l’être humain, l’individu […] est l’ultime source de tout droit”. Ainsi, selon lui, la notion de génocide avait justement pour effet d’alimenter les haines interethniques et non d’établir des rapports sociétaux pacifiques.

Même si Lemkin échoua à faire entrer le crime de « génocide » parmi les chefs d’accusation du procès de Nuremberg, le concept est aujourd’hui largement reconnu et utilisé. Il est donc communément admis qu’un génocide est l’extermination intentionnelle d’un groupe humain “national, ethnique, racial ou religieux”  en raison de l’établissement de certains critères arbitraires.

Cependant, nous pouvons constater qu’aujourd’hui, ce terme est utilisé de manière abusive par bon nombre de médias, notamment dans le cas du Congo.

Une situation qui prend ses racines au début du XXe siècle

Afin de comprendre au mieux la situation ébranlant actuellement la région Est du Congo, frontalière avec le Rwanda, il nous faut dans un premier temps nous pencher sur le génocide perpétré en 1994 au “Pays des 1000 collines”, c’est-à-dire au Rwanda. Celui-ci, détenant le triste record du génocide le plus rapide de l’histoire, prend ses racines dans la politique colonialiste allemande du début du XXe siècle. En effet, une idéologie ethnique selon laquelle les Tutsis étaient ethnologiquement supérieurs aux Hutus fut ancrée profondément dans l’ordre sociétal rwandais par les colonialistes germaniques. Par la suite, la colonie devint belge et la ségrégation entre les peuples s’intensifia. À la suite de l’indépendance en 1961, l’ordre sociétal s’inversa et l’animosité sociétale s’accentua, obligeant une partie des Tutsis à fuir étant donné la volonté vengeresse des Hutus. Les multiples conflits sociaux aboutirent à l’exécution d’un projet génocidaire, provoquant la mort de près de 800 000 Rwandais, majoritairement Tutsis, durant l’année 1994.

Ensuite, au crépuscule du génocide, les rebelles tutsis ayant renversé le pouvoir poussèrent à l’exil les génocidaires hutus. Ceux-ci se réfugièrent au Congo, marquant le début d’une longue période d’instabilité pour celui-ci. Par la suite, les Tutsis ayant pris le pouvoir au Rwanda mirent en place une politique visant à poursuivre les exilés hutus au Congo. Ainsi, un droit de poursuite officieux fut arrangé entre le Rwanda et le Congo, autorisant donc l’armée patriotique Rwandaise (APR) à s’infiltrer militairement dans la région congolaise du Kivu. Il faut aussi noter qu’officieusement, les richesses minières contenues dans le sol congolais auraient aussi lourdement influencé les motivations rwandaises.

Cependant, de nombreuses milices congolaises furent formées, afin de lutter face aux violences perpétrées par l’APR sur les populations civiles du Congo. De plus, les tensions s’intensifièrent lourdement, étant donné la forte densité de groupes armés, à la fois tutsis, hutus et congolais. Au terme des années 80, la présence de nombreuses forces armées dans l’Est du Congo se traduisit donc par une simple transposition du conflit rwandais au Congo.

Une violence installée depuis 1996

Depuis 1996, le Congo est donc sujet à de violents conflits. Par exemple, de multiples tentatives de rébellions visant à renverser le pouvoir en place furent officieusement financées par le Rwanda, nourrissant ainsi l’instabilité et enlisant politiquement la région. Aujourd’hui, plusieurs centaines de groupes armés ayant une influence locale sont dénombrés dans cette zone. Ils fournissent aux populations une certaine protection mais les exposent aussi à un fort risque de représailles, causant donc de lourdes pertes civiles.

Il est donc indéniable que le Congo subit, depuis plus de 20 ans, des massacres presque quotidiens. Cependant, nous pouvons légitimement affirmer que l’emploi du terme “génocide” dans le cas présent est largement contestable. En effet, les populations locales ne sont en aucun cas massacrées en raison de leur appartenance ethnique ou raciale. Il serait donc bien plus approprié d’évoquer des crimes de guerres ou des crimes contre l’humanité, ce qui est tout autant condamnable.

Étant donné le flou médiatique entourant ce conflit, de multiples publications erronées et accompagnées de clichés choquants germent sur les réseaux sociaux. Certains avancent des chiffres largement exagérés, affirmant que le nombre de victimes s’élèverait à plus de 6 millions. En réalité, même s’il existe un débat à ce sujet, les spécialistes s’accordent sur le fait qu’un tel chiffre soit inatteignable, comme le confirme Louis-Lohlé-Tart: “6 millions de morts, c’est une impossibilité totale ». De plus, certaines photos illustrant ces propos proviennent de conflits antérieurs, comme la seconde guerre du Congo s’étant déroulée de 1998 à 2003.

Enfin, il nous faut noter que bon nombre des morts dans cette région depuis le début du XXIe siècle ne sont pas dus aux causes directes du conflit. Le système de santé ayant été affaibli, beaucoup des civils sont donc morts de maladies normalement curables, mais n’ayant pas pu être traitées.

La qualification des actes de barbaries perpétrés au Congo fait donc aujourd’hui débat même si le terme de “génocide” reste largement contesté. Cependant, le conflit agitant actuellement la région est toujours placé sous un lourd silence médiatique, preuve d’une cécité éclairée des puissances occidentales, elles aussi impliquées dans les racines du conflit.

Elio LEVY-SOUSSAN


Sources principales :