Fils d’une famille de papetiers, Vincent Bolloré mène de nombreuses activités industrielles, portuaires et agricoles en France et en Afrique. Ayant construit sa fortune dans les années 1980 à partir de 2 francs symboliques en rachetant la papeterie familiale, qui devient par la suite la fameuse marque OCB, Bolloré a forgé une réputation d’entrepreneur audacieux, mais très controversée.

Selon Jacques Dupuydauby, ancien associé de Vincent Bolloré, l’homme d’affaire français Vincent Bolloré “est extrêmement intelligent, donc […] nettement au-dessus de la moyenne. Il a une volonté comme peu de gens en ont, mais c’est un type, si vous voulez, qui pense qu’il n’y a pas de limite à ce qu’il peut faire, et qui je pense en plus cherche à dépasser les limites”. Aujourd’hui, riche industriel et multi-milliardaire français, l’homme d’affaire traîne à cause de son absence de limite une image médiatique péjorative : “patron le plus redouté de France”, “patron au kärcher qui vire plus vite que son ombre”, “c’est un prédateur, et c’est un traitre”… « L’ogre Bolloré” comme le nomme le média Complément d’enquête. Et le patron acclamé est désormais perçu comme un riche propriétaire réprimant.
Depuis 1997, Bolloré a toujours convoité le célèbre média TF1, première chaîne télévisée d’Europe, jusqu’à mettre en place des stratégies pour l’arracher à la société Bouygues, détenue par son ami Martin Bouygues. Ses stratégies, commençant par un rapport policier caché sur les comptes en banque du groupe, en passant par un coup de téléphone lors duquel il manipule sous l’alibi de l’amitié Martin Bouygues, voire jusqu’à une augmentation continue et discrète de ses actions dans l’entreprise du géant du BTP l’ogre Bolloré s’était montré prêt à tout pour détenir TF1. Mais, le risque de compromettre l’image du groupe Bolloré et de la société Bouygues ne l’a mené finalement qu’à abandonner son envie de contrôler le groupe Bouygues en 1998. Cette stratégie qu’il avait pourtant éprouvé avec succès pour capter Havas en 2004 ou encore Vivendi en 2012.
Cet assaut raté de la part de Bolloré a changé son image dans les médias “L’Homme d’affaire breton, turbulent, tenace et persévérant” selon France 2, n’est alors plus perçu comme un homme d’affaire modèle comme il avait pu l’être dans les années 1980. À la suite de cet échec, l’objectif de Bolloré est de s’emparer cette fois-ci de Canal + en 2012. Pour ce faire, il intervient de plus en plus dans des émissions et des castings, et se rapproche de Bertrand Méheut, aujourd’hui ancien patron de Canal +. Après 6 mois d’attente, Bolloré passe à l’action, détrône Bertrand Méheut, et convoque les plus hauts cadres de Canal+. Il licencie les plus hauts dirigeants de la chaîne de télévision : président, directeur général, DRH, responsable cinéma, publicité, sport, antenne, secrétaire général, patronnes d’itélé, patron de D8 et de studioCanal et une trentaine d’autres, tous remplacés par des proches de Vincent Bolloré. Selon Richard Sénéjoux, journaliste à Télérama spécialiste des médias : “À l’étage de la direction […], tout le monde rasait les murs, avait peur de se faire virer. Ça s’est traduit aussi physiquement, […] L’exemple je crois le plus criant est celui du patron de D8 […] qui a vu deux vigiles monter dans son bureau, le prendre, et le sortir de la boîte. Donc c’est assez spectaculaire. C’est pas fait, on va dire, pour rassurer les autres salariés […]. Ce qu’il veut c’est, on va dire, des bons petits soldats, des gens qui ont le doigt sur la couture du pantalon, qui ne font pas d’histoire et qui exécuteront ses ordres, tout simplement”.
De plus, Vincent Bolloré a acheté le silence des hauts dirigeants licenciés, et cela malgré les difficultés financières de Canal +, pour 38 millions d’euros. Par ailleurs, il a censuré grossièrement des émissions au dernier moment avant leur diffusion à l’antenne. Cela a notamment été le cas pour l’émission Spécial Investigation lors d’un reportage sur le Crédit Mutuel. Enquête pourtant acceptée par la direction, validée par le service éditorial et qualifiée de prudente et équilibrée par le service juridique de Canal +. Mais à dix jours de la diffusion, Vincent Bolloré censure le documentaire car le patron de la banque, Michel Lucas, est un de ses proches. Vincent Bolloré, niant cette censure, définit selon lui une nouvelle façon de faire du journaliste : ne pas dire de mal de ses partenaires, de ses clients, de ses associés. Cependant, cette nouvelle vision de l’investigation selon Jean-Baptiste Rivoire, rédacteur en chef adjoint de Canal +, entrave le travail des journalistes car la promesse
d’honnêteté vis-à-vis du public est rompue. Selon René Georges Querry, ami de Vincent Bolloré, le traitement que Vincent Bolloré
inflige à la direction de Canal + laisse des doutes sur l’avenir de la chaîne. Aujourd’hui, des programmes emblématiques de Canal+ tel que le Spécial Investigation ou encore les JT n’existent plus. Selon Richard Sénéjoux : “C’est la fin des journaux sur Canal+”. La chaîne “ s’est lancé au mois de novembre 1984 […] sur une idée de nouvelle télévision, de créativité, […] de liberté, et ça c’est quand même dans l’ADN. […] Depuis 2002, ce n’était plus tout à fait non plus la même chaîne. Il y avait une forme de normalisation, mais il restait quand même quelques pôles […] d’indépendance […] comme le petit journal, comme le zapping, comme Groland, comme Les Guignols. C’est en train d’être dissous et je ne suis pas sûr que ce soit très bon pour la chaîne et l’image de la chaîne.”
Depuis que Vincent Bolloré s’est emparé de Canal+, une tempête médiatique fait rage sur lui. Or les médias, il en jamais eu autant besoin. En 2015, Vincent Bolloré met sur le devant de la scène ses actions écologiques grâce à l’accueil d’une durée de deux mois sur Paris son fabuleux Bluetram 100% électrique. Pour un coup de communication réussi, médias et mairesse de Paris au rendez-vous, juste après la COP21. Ce tramway, à disposition gratuite pour les Parisiens voulant se déplacer de Concorde à Étoile, a été construit par le groupe Bolloré, promettant d’investir sur le reste de la ville. En plus de l’intérêt que porte Bolloré sur le transport durable, les médias font donc tout aussi partie des affaires à conquérir. Ils pourraient mettre leur nez dans les autres : en effet, en plus des activités française dans le transport et dans les médias, Vincent Bolloré investit également en Afrique, notamment en tant qu’actionnaire d’une palmeraie au Cameroun. 80 % de ses bénéfices viennent d’Afrique (260 millions d’euros par an). Ses ouvriers, produisant l’huile de palme de la palmeraie, sont payés à la tâche (environ 1 euro par jour) et travaillent dans de dures conditions portant de lourdes charges. De plus, contrairement à ce que prétendent les dirigeants de cette palmeraie, des mineurs y travaillent, et les équipements de sécurité sont délabrés. Enfin, ces mêmes ouvriers sont logés dans des cabanes en bois datant d’il y a plus de 50 ans.
Les multiples stratégies de « l’ogre Bolloré » en France et en Afrique mènent, quelle que soit l’image médiatique qui en ressort, à une volonté d’augmenter ses propriétés. Afin de garder le contrôle, le multimilliardaire industriel offre l’opportunité à trois de ses quatre enfants, Yannick Bolloré, Marie Bolloré et Cyrille Bolloré de prendre sa succession. Yannick Bolloré est aujourd’hui le directeur général d’Havas, sixième groupe mondial de communication, appartenant au Groupe Bolloré dirigé lui-même par son père Vincent . Marie Bolloré est actuellement la responsable des activités mobilités du groupe Bolloré. Enfin, Cyrille Bolloré est aujourd’hui PDG du Groupe Bolloré, après avoir eu accès à la présidence du conseil de surveillance de Vivendi. Cette nouvelle stratégie garantira t-elle réellement le contrôle de Bolloré sur ces grands groupes par le biais de ses enfants ? Les médias nous le diront peut-être s’ils ne sont pas sous sa coupe.

Lisa Rouillard

Photo : Wikipédia