[Critique ciné] Portrait de la jeune fille en feu : prouesse esthétique et virtuosité des actrices

Le 18 septembre dernier, le tout nouveau film d’auteur français de Céline Sciamma est sorti en salles. Au travers d’une dramatique historique, la réalisatrice rivalise de moyens techniques et esthétiques pour évoquer la condition féminine au 18e siècle.

Entre couleurs, raccords, mouvements de caméra et jeux des actrices, ​Le Portrait de la jeune fille​ en feu est un prodige. Le long-métrage brasse, au travers de la rencontre d’une peintre et de son sujet, la place de la femme au 18e siècle, des considérations esthétiques sur la femme et l’art, ou encore les questions de la contraception, de l’avortement et de l’homosexualité.

Les choix de mise en scène, comme ceux techniques, de Céline Sciamma servent les effets dramatiques et historiques recherchés. Les personnages principaux et secondaires sont dans la totalité du long-métrage uniquement des femmes : Noémie Merlant, jouant le rôle de la peintre Marianne, Adèle interprétant la future mariée Héloïse, Luàna Bajrami exerçant le rôle de la servante Sophie, et enfin Valeria Golino incarnant la Comtesse et la mère d’Héloïse… Le seul homme important dans le scénario n’est pas présent physiquement : il n’est qu’évoqué au travers des discussions.

L’utilisation de la couleur est au service du récit, et celle-ci est épurée, simple et sobre. L’aspect historique du ​Portrait… est ainsi  appuyé au travers de couleurs qui correspondent à l’idée que nous nous faisons de l’époque. Elles sont particulièrement travaillées dans les premières séquences, notamment lorsque Marianne, jouée par Noémie Merlant, prend son repas constitué de pain et de fromage à table dans la cuisine de la maison de la Comtesse.
Signe historique, la couleur est également l’outil esthétique de la réalisatrice : lors d’une des séquences du ​Portrait…​, Marianne, Héloïse et Sophie se rendent dans la forêt afin que Sophie apprenne de la « gourou » du coin si elle est ou non toujours enceinte n. Sur la route, les trois actrices marchent l’une derrière l’autre parallèlement à la caméra, à contre-jour, devant un ciel bleu sombre, transpercé par des rayons de soleil jaunes orangés ras-du-sol. Cette scène est esthétiquement à couper le souffle.

Si l’on se concentre sur le jeu remarquable des actrices, ​Le Portrait de la jeune fille en feu relève également du chef d’œuvre. La multiplicité des émotions transmises, uniquement par leurs visages, leurs mimiques où leurs regards, est due à une impressionnante virtuosité dont font preuve ces actrices. Ainsi, lors d’une des nombreuses scènes où Marianne, la peintre, peint le portrait d’Éloïse dans une chambre : les plans se succèdent, fascinants car focalisés sur les émotions exprimées par les deux femmes. Leur dialogue porte sur leur connaissance mutuelle de l’autre et de leurs ressenti respectifs. Les expressions faciales sont en lien avec le dialogue, ce à quoi le cinéma ne nous habitue plus : Marianne lève le sourcil, car elle est intriguée, met la main sur son visage lorsqu’elle est désorientée ; tandis qu’Éloïse décrypte les faits et gestes de son amante. Ensuite, le dernier plan de la séquence finale est le plus fort en émotion tant le son, l’échelle, le jeu d’actrice d’Éloïse ainsi que la durée de ce gros plan fixe final constituent une réussite. Le visage d’Éloise qui passe de la tristesse à la joie, de l’émotion à l’excitation, de l’envoûtement à la mélancolie alors qu’elle écoute longuement une symphonie, compose une fin parfaite pour ce long-métrage.

Mais malgré ces prouesses de Cécile Sciamma, quelques points restent à éclaircir, notamment un détail inexplicable : dans la seconde moitié du drame, le spectre d’Éloïse apparaît à la vue de Marianne. Un choix de scénario qui ne s’explique pas avec le récit, l’esthétique, ou quoi que ce soit d’autre. Et malheureusement, la venue étrange de ce fantôme trouble le spectateur du ​Portrait… en convoquant des émotions inadéquates : peur, angoisse, incompréhension, mystère…

La qualité cinématographique du ​Portrait de la jeune fille en feu frôle toutefois la perfection. En effet, dans la société actuelle, ce film nous ré-habitue à contempler l’expression d’émotions fortes et éprouvantes. Les mimiques se suffisent à elles-seules pour traduire les puissantes émotions qui traversent les personnages. Ce travail d’expression exceptionnel est, aujourd’hui, une prouesse cinématographique perdue dans les films internationaux diffusés dans les plus grandes salles de cinéma.

Lisa Rouillard