Après 46 ans de domination sur la moitié de notre belle planète Terre, l’URSS s’effondra. Cette chute permit néanmoins la renaissance des États du Caucase et d’Asie Centrale, avec eux, une idéologie déterrée après plusieurs décennies : le panturquisme. L’ascension au pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan montre la véritable résurgence de l’idéologie à travers sa politique. Je vous invite donc à découvrir le panturquisme et son évolution jusqu’à sa place dans la politique turque actuelle.

La naissance d’une idéologie

Le panturquisme est un courant de pensée nationaliste principalement initié, au début du XXe siècle, par Enver Pacha et le parti politique des Jeunes-Turques, dont il était l’un des leaders. De même que le panslavisme, le panarabisme ou le pangermanisme, il se veut de réunir tous les peuples turcophones, voire de les unifier en un État-nation. Selon les défenseurs de cette idéologie, parmi les aires géographiques dites turcophones on trouve, en plus de la Turquie, l’Azerbaïdjan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, ou des régions comme la Chypre turque, l’Azerbaïdjan iranien, le Xinjiang chinois, le Türkmeneli en Syrie et en Irak ainsi que de nombreuses régions russes (vers la Crimée et au nord de la Mongolie). Cette sphère d’influence turcophone est très étendue, mais aussi très hétéroclite culturellement, car liée avant tout par une proximité linguistique. Ces États ayant des origines ethniques diverses et variées, malgré certaines régions qui ont des similarités avec la culture turque. Par exemple, les Ouïghours du Xinjiang, en Chine, ont une culture propre (comme de nombreux sous-groupes ethniques chinois), mais parlent turc.

Néanmoins, dès ses prémices, cette idéologie n’eut pas un grand succès, se faisant étouffer par le régime kémaliste voulant une nation indivisible et unie, puis par les Soviétiques, dès les années 1920 et ce, jusqu’en 1991. S’ensuit alors un soutien de la Turquie lors de la reconnaissance des nouveaux pays de l’ex-URSS, ainsi que des diverses communautés turcophones en général. La situation actuelle est donc un ensemble de pays et de régions hétérogènes culturellement, mais homogènes linguistiquement. Cela n’empêche pas une entraide mutuelle entre ces nations se sentant liées à la Turquie. Politiquement, le panturquisme n’est cependant pas majoritaire, n’empêchant pas l’autocrate Recep Tayyip Erdoğan de mener une politique multi-frontale, incluant parmi elle le panturquisme.

Le panturquisme, une des multiples stratégies du pouvoir pour leur expansion

Si le panturquisme reprend de sa superbe, c’est en partie dû au président turc, Recep Tayyip Erdoğan. En effet, ce dernier veut redonner à la Turquie sa puissance d’antan, durant l’époque ottomane. Différentes politiques expansionnistes sont menées dans le monde, dont la réunion des locuteurs turcs. Cela passe par un soutien de tous les peuples turcs du monde comme avec l’exemple des Ouïghours, dont certains mènent des révoltes soutenues par la Turquie et qui seraient persécutés par le gouvernement chinois, servant ainsi de contre-balance au régime chinois dans cette crise. Erdoğan qualifie ces derniers comme des acteurs d’une « sorte de génocide ». Il a également mené différentes allocutions dans d’autres pays à minorité turque pour y renouveler son soutien. Mais derrière tout cela se cache certaines ambitions. Nous sommes en droit de nous demander, quelle est la stratégie d’Erdoğan ? Eh bien, il veut détruire le système politique turc kémaliste, marqué par un fort progressisme sur le modèle occidental et une prépondérance de la laïcité (malgré que son initiateur, Mustapha Kemal, dit « Atatürk » était un autocrate) pour revenir à une Turquie musulmane, protectrice de l’Islam et des ethnies turques dans le monde comme le faisait jadis l’Empire Ottoman avec sa disparition en 1923. Palais démesuré, cérémonies avec des gardes du corps revêtus de différentes armures ottomanes, rappelant ainsi le glorieux passé du pays et également sur quelle ligne veut s’inscrire Erdoğan. À voir dans les prochaines années si ses ambitions porteront ses fruits, ou au contraire, seront vaines.

Mathias Delafontaine