Au mois de novembre, nous célébrons tristement la journée mondiale de la prévention des abus envers les enfants (19 novembre), ainsi que celle consacrée aux droits de l’enfant (20 novembre), des droits aussi bien peu respectés dans certaines régions du monde que dans notre propre pays parfois. Nous avons tous une place dans cette lutte, un rôle à jouer, bien que l’on ne sache pas toujours duquel il s’agit. Un sourire, un regard bienveillant, un signalement. Un partage sur les réseaux sociaux qui peut sauver une vie. Aujourd’hui, c’est à mon tour d’apporter ma pierre au rempart contre l’indifférence face à ce fléau. Demain, je ne doute pas que cela sera à vous. Je vous propose de découvrir une nouvelle, une histoire en cinq pages : celle d’un enfant. Peut-être vous, une sœur, un cousin, un voisin. Un enfant qui vit, qui voit, qui entend ces choses dont on n’ose pas parler.

 

Découvrez la fin de la nouvelle écrite par Andréa Louvel, Zéro :

5. La Mer

Le son de la radio inonde le bateau, avec une chanson nommée Façade du groupe américain Disturbed. J’écoute attentivement la chanson, alors que tout le monde est à un coin différent du bateau, en train de prendre un bain de soleil ou de faire des photos. Je fixe le monstre et, comme prévu, il déblatère quelque chose sur sa supposée émotion causée par la beauté du cadre. Je monte le volume pour couvrir le son de sa voix. « … Ses yeux entourés de noir à nouveau. Je ne peux pas croire qu’elle soit encore avec lui. » Tandis que la musique retentit dans mes tympans, je sens un étrange tiraillement qui envahit ma poitrine au point que le bout de mes doigts se met à vibrer. Comme hors de mon corps, je me lève et fonce vers lui dans une colère noire.
Un bref bruit de ‘splash’. Aucun cri. Aucune lutte. Il a dû en être abasourdi. Aussitôt que son corps désarticulé tombe dans l’eau, il disparaît au fond de l’océan, ou du moins il semblerait. Mais bien assez vite, mes tympans deviennent très douloureux, vibrant comme si un géant approchait en dessinant des vaguelettes sur la surface de l’eau. Mon cœur bat si vite, moi qui n’ai pas hésité à tuer quelqu’un, je tremble désormais. Encore en position inclinée par-dessus le bateau, nauséeux, je regarde les vagues s’écrasant sur son flanc. C’est à cet instant qu’il émerge. Mes yeux embrumés assistent à sa venue par dessous le bateau, et il bouge lentement, traînant son
corps gigantesque à travers l’abysse. Je reconnais le dessus de sa tête spongieuse en premier, puis une multitude de paires d’yeux qui me fixent. Un son sourd, semblable à celui d’un poing tout puissant qui se referme dans l’eau, résonne. La créature l’a emporté.
Si seulement les événements s’étaient déroulés ainsi, mais ce n’est pas le cas. Au lieu de le pousser vers une mort certaine, à la merci d’un plus gros monstre que lui, je me retrouve à lui déverser bruyamment toute la haine que j’éprouve envers lui, crachant les pires insultes et mots grossiers de mon vocabulaire, des mots si durs qu’ils n’auraient pas leur place ici. Lui reste simplement assis, les yeux écarquillés et bouche bée. “Tu ne t’attendais pas à ce que je me rebelle, n’est-ce pas ? J’ai une voix et j’ai le pouvoir de te dénoncer maintenant, j’ai grandi, le monde va m’écouter. C’est la fin.”
Encore une fois, j’aurais voulu que les événements se déroulent ainsi, mais ce n’est pas le cas. Au lieu de le pousser vers une mort certaine, à la merci d’un plus gros monstre que lui, au lieu de laisser sortir toute la colère et la souffrance accumulées ces cinq dernières années, je le regarde, tandis que son regard vif perce un trou jusqu’au fond de mon âme. Il me demande pourquoi je viens de courir vers lui, impassible. Il attend que je fasse un faux-pas. Ma mâchoire tremble, alors j’essaie de la serrer, me mordant la langue au passage. J’essaye de croiser le regard de Maman. “Aide-moi ! Aide-nous ! Ne vois-tu pas que c’est le moment d’en finir ?” Elle baisse la tête de honte. Je rougis légèrement, serre ma mâchoire du plus fort que je peux pour ne pas fondre en larmes devant lui et retourne à ma place à l’autre bout du bateau. Je sais désormais qu’il n’y aucune issue et ce moment ne me procure qu’une profonde solitude. Comme toujours, personne n’a aidé. Personne ne le fait jamais.
J’observe le bleu profond de l’eau. Le clapotis apaisant de la mer sur la coque m’appelle. S’il ne part pas, je le ferai.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours détesté aller à la plage. Peut-être parce que c’est là que j’ai rendu mon dernier souffle.

Je vous souhaite une bonne lecture, et je vous invite à me contacter si vous avez un commentaire à partager sur mon histoire ~ (Instagram : @anddrea.lvl)

 

Article et nouvelle par Andrea LOUVEL