Nous vous proposons les trois œuvres gagnantes du concours nouvelles, organisé par le projet tuteuré en collaboration avec le Pôle Littérature du Grand R.

La troisième nouvelle a été écrite par Azilis Combadière, étudiante en seconde année de double licence Droit-LEA et se nomme « La liberté de la Reine ».

La liberté de la reine

Une idole est une personne ou une chose intensément admirée, faisant l’objet d’une certaine vénération et qui nous inspire quotidiennement.

Le soleil a réchauffé toute la savane aujourd’hui. Je le sens qui tape sur ma peau. Un vent de fraîcheur se faufile sous mes poils et me rafraîchit. Je me sens bien. Depuis quelques semaines, je commence à retrouver mes forces. Je me suis éloignée de ma petite troupe quelques instants pour me poser. J’entends, au loin, mes lionceaux se chamailler. Leïla, ma sœur, gronde affectueusement de temps à autre pour les calmer. Elle nous a retrouvés lors d’un moment décisif. Si elle était arrivée quelques jours plus tard, nous ne serions probablement plus de ce monde… Nous nous sommes engagés dans cette aventure solitaire et dangereuse depuis plusieurs mois maintenant et ce n’est toujours pas terminé.

Je me souviens encore de nos paisibles moments, sous l’ombre de ce grand baobab et sous la surveillance de Léono, notre roi bien-aimé… Nous, les lionnes de la tribu, venions tout juste de mettre au monde nos portées de lionceaux et nous étions prêtes à renouveler notre clan. Malheureusement, ce que nous redoutions toutes arriva… Léono devenait vraiment vieux et nous savions tous que ce jour viendrait, mais nous ne pensions pas qu’il arriverait si vite. Lors d’une nuit où la lune brillait dans le ciel, deux jeunes lions sont venus conquérir notre clan et ont défié notre mâle dominant. Notre cher Léono fit de son mieux mais nous savions que ce combat était perdu d’avance, il ne pouvait résister à ces deux jeunes lions plein de vitalité. C’est ainsi qu’est la loi de la savane…

Mais Léono nous donna quelque chose d’extrêmement précieux, il nous donna du temps. Juste assez pour que je puisse prendre ma décision. Celle de partir, avec mes trois lionceaux, suivre une quête contre nature et quitter la sécurité de mon clan natal. C’était ma seule option, si nous ne partions pas, les nouveaux mâles dominants auraient massacré mes lionceaux et ça, je ne pouvais le permettre.

Alors, pendant leur affrontement, nous sommes partis discrètement, dans la nuit. Cinq autres lionceaux, attirés par notre petite expédition nous suivirent. Nous étions désormais une petite troupe de neuf et en quelques secondes, j’avais, sur mes épaules, la responsabilité de devoir nourrir les huit bouches de ces petits lionceaux. Ils étaient rapidement devenus les êtres les plus précieux de mon cœur. Leur odeur et leur chaleur me réconfortaient. Leurs petits rugissements, qu’ils adoraient faire pour me demander de jouer avec eux, me réchauffaient le cœur et j’étais heureuse de les savoir à mes côtés.

Ma sœur nous avait rejoint il y a quelques semaines et elle nous avait sauvés d’une mort certaine. Elle était sur nos traces depuis des jours, afin de retrouver ses propres lionceaux qui m’avaient suivie. Elle nous avait retrouvés lorsque nous avions le plus besoin d’elle. J’étais au bout de mes forces, j’étais gravement blessée et les lionceaux étaient affamés. Chasseresse hors pair, Leïla nous avait ramené des petites carcasses à manger et doucement, nous avions pu reprendre des forces.

Mais, désormais, ces petites carcasses qu’elle rapportait ne suffisaient plus. Nos lionceaux, en pleine croissance, devenaient de jeunes adultes et avaient besoin de plus d’apports nutritifs pour pouvoir pleinement se développer. Même si je recommençais à chasser avec Leïla, nous ne rapportions pas de gros gibiers, seulement des petits animaux pauvres en protéines et nous avions besoin de plus.

Une nuit, une idée folle me vint en tête. Leïla et moi étions d’excellentes chasseuses et nous avions déjà eu l’occasion d’attaquer plusieurs gibiers de grande taille, comme des zèbres ou encore des buffles. C’était exactement ce dont nous avions besoin. Je transmis l’idée à Leïla ce matin et elle me fit comprendre qu’elle acceptait ce défi. Si nous voulions avoir une chance contre ces deux mâles toujours sur nos traces, nous devions récupérer pleinement nos forces. D’autant plus qu’au cours de la nuit, nous les avions entendu rugir, au loin. La portée de leur rugissements nous permettait d’en déduire qu’ils n’étaient plus très loin de nous et qu’ils nous rattraperaient bientôt. Le temps nous était donc compté et Leïla et moi savions que nous devions prendre certains risques pour rassembler nos forces.

Soudain, un grondement se fait entendre. C’est Leïla. Elle me donne le signal d’alerte pour que nous commencions notre chasse. Je sens mon pouls s’accélérer. La dernière fois que j’ai pris en chasse un buffle, c’était pour nourrir mes lionceaux affamés qui ne demandaient qu’à être nourris. Mais, ayant mal calculé ma course, je m’étais blessée et m’étais gravement ouvert le ventre. À cause de cela, j’avais frôlé la mort et j’avais perdu une grande partie de mes forces.

J’espère que, cette fois-ci, tout se passera bien. Nous devons y arriver. Notre survie, face à ces deux mâles assoiffés de pouvoir, en dépend réellement.

Trêve de réflexions. Agilement, je descends du rocher sur lequel je m’étais posée et je rejoins ma sœur pour notre expédition périlleuse. Nos lionceaux nous suivent, nous voulons qu’ils chassent leur première proie. Ce sera un excellent entraînement pour eux.

Nous marchons depuis quelques heures désormais et le soleil commence à tomber, quand nous apercevons, en bas de la colline, un troupeau de buffles, broutant paisiblement. Ils sont nombreux, plusieurs dizaines. Notre objectif est d’en isoler un, afin de l’attaquer et de l’achever, sans faire fuir le troupeau tout entier. Doucement, le plus silencieusement possible, nous nous approchons du troupeau. Cachés derrière les grandes herbes de la plaine, nous sommes invisibles. Nous nous positionnons, discrètement, près du troupeau afin de scruter tous les mouvements et d’établir notre plan d’attaque. Par le passé, nous avions beaucoup chassé ensemble, Leïla et moi. Nos instincts de chasseresses reviennent en quelques secondes et nous nous comprenons en un regard. Je commence à courir derrière un buffle déjà isolé et je le prends en chasse. Leïla me suit de près, laissant les lionceaux derrière elle, dissimulés par les herbes, qui observent toute la scène. Les buffles, affolés, meuglent bruyamment. Ils courent dans tous les sens, remuant le sol et créant de grands nuages de poussière. Nous réussissons à isoler un buffle adulte. Nous le poursuivons pendant plusieurs minutes afin de l’épuiser. Arrivés devant une falaise, nous nous plaçons devant lui pour l’empêcher de fuir. Il est à bout de forces, ses narines laissent passer l’air bruyamment et des gouttes de sueur ruissellent sur son encolure. Quelques instants après notre capture, nos lionceaux nous rejoignent. D’un signe de tête, nous leur ordonnons de prendre la relève. C’est leur premier gibier de cette taille. Mais ils sont huit et ils ont les capacités pour venir à bout de cette proie. Sans hésiter, ils encerclent le buffle, déjà bien mal en point. Ils le jaugent et restent immobiles pendant quelques secondes. Puis, un des lionceaux attaque le buffle. Il le mord à la croupe et ne le lâche pas. Les autres suivent et l’animal est vite achevé. Leur première proie. C’est un pas de plus vers l’âge adulte et je suis fière de les voir se développer si rapidement. Affamés, ils se jettent sur leur trophée et se régalent. Le partage est assez violent et très anarchique. Usuellement, nous, les lionnes, mangeons en premier, le lion nous suit et les lionceaux terminent le festin. Néanmoins, la journée a été longue et ils méritent amplement leur repas. Nous attendons donc à l’écart, avec Leïla, afin de nous reposer quelques instants et de monter la garde.

La nuit commence déjà à tomber. Soudain, nous entendons des rugissements. Les lionceaux se figent. Nous connaissons tous ces rugissements, ils correspondent à ceux des deux lions qui suivent nos traces depuis plusieurs semaines. Ils nous ont retrouvés. Leurs rugissements nous laissent penser qu’ils sont à quelques minutes, à peine, de notre emplacement. Le temps nous est désormais compté. Si je ne fais rien, ils nous rejoindront et tueront, impitoyablement, tous nos lionceaux afin de nous ramener, Leïla et moi, dans leur clan. Je me tourne vers mes lionceaux, immobiles. Ils me scrutent, je lis la panique dans leurs yeux et je flaire leur angoisse. Ils ont compris, ils savent ce qui les attend. Mon pouls s’accélère. Je ne peux pas laisser mes lionceaux se faire massacrer. Je n’ai pas le choix, une seule solution s’offre à moi.

Leïla comprends immédiatement ce à quoi je pense et elle s’approche de moi pour m’en dissuader. Cependant, ma décision est prise. Je la regarde longuement dans les yeux et je lui fais comprendre que je ne changerai pas d’avis. C’est notre dernière chance et nous savons toutes les deux que nous ne pouvons pas fuir éternellement. D’un signe de tête, je donne la garde de mes lionceaux à Leïla et lui fais signe de partir se cacher quelque part, le plus loin possible. Elle rugit doucement pour contester. Je lui réponds fermement. « Partez. Vous devez partir. Tout de suite. » Elle reste immobile quelques instants, scrutant mon âme pour y trouver une quelconque hésitation. Mais je suis déterminée et je ne reculerai pas. Leïla se tourne alors vers les lionceaux. Elle me regarde une dernière fois et ordonne aux lionceaux de la suivre. J’entends mes lionceaux gémir. Ça me fend le cœur. Je ne peux m’imaginer ne plus jamais les revoir. Néanmoins, je ne peux rien faire d’autre. Cette mascarade doit s’arrêter et nous devons tenter le tout pour le tout. Leur lançant un dernier regard, je pars dans la direction opposée. Deux des lionceaux essaient de me suivre mais Leïla les en empêche silencieusement et bientôt, je ne les vois plus et ne les entends plus. Je continue d’avancer dans la pénombre, dans la direction des rugissements.

Je suis déterminée à tenter l’inimaginable : affronter les deux mâles à notre poursuite. Si j’arrive à les vaincre, ma famille sera en sécurité et nous pourrons vivre paisiblement, sans avoir à craindre quiconque. Si j’échoue… Je ne veux pas y penser. Ce soir, je n’ai pas le choix. Je dois réussir. Ma survie et celle de mes lionceaux sont en jeu.

Je continue de marcher dans la direction des rugissements. Je guette le moindre son et mon nez est à l’affût des moindres odeurs. Mes yeux, fixés vers l’horizon, surveillent chaque mouvement de la plaine. J’entends de nouveau les rugissements. Ils ne sont plus qu’à quelques mètres de moi. Soudain, je les vois apparaître de derrière les buissons. Ils rugissent rageusement en m’apercevant. Mon pouls s’accélère et une vague de peur me traverse. Mais je ne perds pas le contrôle et garde mon sang froid. Je continue d’avancer, doucement, en jaugeant mes adversaires. Ils sont encore jeunes mais ils sont vigoureux et robustes. Ils font jouer leurs muscles afin de m’intimider. Je comprends, à leur posture, qu’ils hésitent à m’attaquer. La situation est très inattendue pour eux. Usuellement, les lionnes se soumettent naturellement aux mâles dominants. Toutefois, ils sont déterminés et n’abandonneront pas aussi facilement et j’en suis consciente. Je profite alors de leur hésitation pour bondir, rugissant férocement. J’agrippe le premier à l’épaule et je plante mes griffes dans sa chair. Il rugit de douleur. Son frère bondit à son tour et s’accroche à ma croupe. Je sens ses griffes me transpercer la peau et je sens ma plaie se rouvrir, sous la force de son emprise. Je tombe à terre, submergée par la douleur. Déterminée à vaincre, au nom de notre liberté, je me redresse alors en rugissant de plus belle. Une rage m’envahit et la douleur quitte mon corps. Je bondis sur mes adversaires, leur assenant de multiples coups et morsures. Je me débats en utilisant toutes les forces qu’il me reste. L’un me griffe près du museau. D’un coup de patte, je lui transperce l’oreille et le frappe en plein front. Je mords l’autre, agressivement, à l’encolure et il tombe à terre, dans un rugissement de douleur, vaincu. Le deuxième, déconcerté, recule. Sans m’arrêter, je rugis violemment dans sa direction et le regarde droit dans les yeux, m’imposant de toute ma taille. Se figeant quelques instants, le lion finit par reculer davantage, jusqu’à battre en retraite. L’autre, gisant à terre, se relève doucement et suit son frère dans l’obscurité.

Quand je ne les vois plus, je m’effondre et toutes mes forces m’abandonnent. Pourtant, je suis heureuse. Je suis soulagée. J’ai réussi. J’ai accompli l’impossible, j’ai fait reculer ces deux mâles pour m’imposer en tant que cheffe de troupe. Mes lionceaux sont désormais en sécurité et nous pouvons vivre paisiblement.

J’entends des rugissements familiers. Ayant entendu mes cris de détresse et de rage, Leïla n’avait pas réussi à empêcher mes lionceaux de courir à ma rescousse. Essoufflés, ils me retrouvent rapidement et se collent à moi, pansant mes blessures du mieux qu’ils le peuvent. Leïla les suit, quelques mètres derrière, accompagnée des lionceaux restants. Ils viennent tous autour de moi et comprennent ce qu’il vient de se passer. Leïla frotte sa tête contre la mienne en guise de remerciement éternel et elle s’allonge devant moi, me regardant d’un air admiratif. Nous sommes tous réunis ici et nous n’avons plus à craindre quiconque. Nous sommes enfin libres.

Nouvelle basée sur l’histoire réelle d’une lionne, nommée Maïba, qui a réussi à détrôner le roi des animaux. Son histoire a été relayée à l’occasion de nombreux documentaires français et étrangers, comme par exemple le documentaire réalisé par Kim Wolhuter, Benoît Demarle et Bertrand Loyer.