Le rap français au féminin : état des lieux

Le rap français féminin se démocratise ces dernières années. Et comme c’est la fin de 2018, une petite rétrospective est la bienvenue…

La musique rap, née en Amérique dans les années 80, puis exportée en France dans les années 90, a longtemps laissé de côté l’expression féminine. Ces dix dernières années le rap s’est démocratisé auprès des médias et du public, tout en entretenant une hégémonie masculine accompagnée de sexisme. Ce mouvement a en effet toujours été constitué majoritairement d’icônes masculines. Cette image est répandue en France. Pourtant, le rap féminin a tôt été présent, bien que sous-estimé. Dès la fin des années 90 et le début des années 2000 les voix féminines ont commencé à briser le mur masculin avec 3 symboles du rap féminin.

En effet, si au début certaines voix féminines étaient utilisées comme accompagnement, en 1990, un morceau de RapAttitude sort du lot, celui de Saliha s’intitulant « Enfants du ghetto » dénonçant la vie quotidienne du ghetto ainsi que la non considération de l’État envers les banlieues. En 1992 B.love provoque, en critiquant l’eurocentrisme et le racisme à travers sa chanson « Lucy ». Sept ans plus tard, Lady Lastee connaît un véritable succès. Elle est maintenant considérée comme étant à l’origine du rap français féminin. Plus particulièrement grâce à son titre à succès « Et Si » traitant de l’acceptation de la mort. Par la suite, dans les années 2000 est arrivée Diam’s, artiste reconnue dans toute la France, via son tube « La boulette », extrait de son album « Brut de femme ».

Au début des années 2000, le rap français féminin redonne du souffle à cette culture. Avec de nouvelles icônes venant remplacer les anciennes. « Pas à Vendre » ou « Chez moi » sont les deux titres de Casey (sortis dans son premier album en 2006 « Tragédie d’une trajectoire »), nouvelle actrice du rap active depuis 1995, utilisant un style beaucoup plus brut qui n’hésite pas à faire référence au mode de vie des cités et à raconter son quotidien.
Durant cette  période apparaissent les albums d’une icône du rap français féminin très active dans le milieu inspirant toute une génération : Keny Arkana. Elle propose son premier album en 2006 « Entre ciment et belle étoile », puis 4 autres entre 2008 et 2012 (Désobéissance, L’esquisse 2, Tout tourne autour du soleil, l’Esquisse 3). Artiste activiste, luttant avec force dans ses textes contre l’injustice étatique et le capitalisme, donnant même un concert au FestiZad, elle est toujours en activité avec l’album « L’Esquisse 3 » sorti en 2017. On peut aussi parler de Princesse Aniès très présente dans le milieu du hip-hop jusqu’en 2008.

Le rap féminin a su se faire entendre avec force et soutien dans ce mouvement constitué majoritairement d’icônes masculines. Mais cela n’a pas toujours été au travers de la vision de la femme forte. Certaines rappeuses n’ont pas adopté de position contestataire ni voulu traduire l’expression d’un mode vie dans un milieu social rejeté. On peut prendre l’exemple de Liza Monet avec le titre « Best Plan», porté sur l’érotisme (Liza Monet est depuis est revenue avec des textes plus féministes, tout en assumant ces choix dans une interview de OKLM radio). ou encore Roll’K avec « Number One » et son album « Sex, drogue et Roll ‘K », sorti en 2000, aux textes parlant majoritairement de sexe.

Le rap féminin au début des années 2000 est clivé. D’un côté il y a le rap contestataire exprimant un certain mode de vie, et très souvent féministe, et de l’autre un rap qui se veut sans revendication particulière, traitant des relations entre sexes d’une façon grivoise. Le rap français féminin à donc toujours été présent, et l’est encore aujourd’hui fin 2018, avec une plus grosse production depuis 2 ans.

Le rap français féminin n’a cessé d’évoluer, notamment avec Keny Arkana qui est encore en activité avec son dernier album sorti en 2017. De plus, plusieurs artistes féminines se sont démarquées : Eli Mc, avec une écriture plus poétique ; Chilla qui a récemment conquis les amateurs de rap avec « Si j’étais un homme » ou encore « Sale chienne » ; une artiste qui reste aussi bien dans l’actualité avec « Balance ton porc » qu’avec une profusion de textes contestataires et féministes.
Dans la même lignée est récemment sorti l’album de Ladea, « Alpha Leonis ». Puis on y voit KT Gorique, artiste prônant une vision humaniste, faisant régulièrement référence à ses origines africaines.

Les artistes féminines prolifèrent et se sont installées sans contestation. Le rappeur Sofiane, dans son émission « Rentre dans le cercle » (sur DailyMotion) invite régulièrement des rappeuses le temps d’un freestyle. On y voit Moon’A, Sianna, Chilla, Leys, Carolina, KT Gorique, Doria, Suka, Soumeya, Le Juiice. Ces artistes ont permis à une jeunesse féminine de ne pas se censurer dans ce milieu, sans entrer dans le stéréotype de la femme au foyer.

Le rap français féminin a eu besoin de plus de temps pour s’imposer, contrairement à son homologue américain. Mais il est aujourd’hui bien présent, et joue désormais d’égal à d’égal avec le rap français masculin. Le rap français féminin renforçant les mentalités sexistes se fait de plus en plus rare, et c’est tant mieux ! Beaucoup d’entre elles sont dans une mouvance contestataire, bien davantage que l’est l’environnement masculin -peut être est-ce dû à l’extériorisation d’années de réclusion dans le milieu du rap, mais aussi dans leur environnement social…

Maxime Bulourde