Sois poli, sens bon
Voici la deuxième nouvelle coup de cœur, du concours de nouvelles du département Information-Communication de l’IUT de La Roche-sur-Yon.
Sois poli, sens bon
On l’évite parce qu’il pue. Il pue et on en parle dans son dos. Dans son dos parce que c’est gênant de lui dire en face. Lui dire en face, ce serait irrespectueux. Mais c’est irrespectueux de l’éviter sans donner d’explications. L’explication, il la cherche sans comprendre. Sans comprendre que les gens sont dégoûtés. Dégoûtés de l’odeur nauséabonde qui plane quand on le croise. On le croise le moins possible et c’est tant mieux. Tant mieux quand on a réussi à éviter sa puanteur. Sa puanteur qui le rend seul. Seul et évité comme un rat. Comme un rat d’égouts, c’est dégueulasse les rats. Les rats on n’en veut pas. On n’en veut pas et on ne sait pas pourquoi. On ne sait pas pourquoi on les supporte pas, mais on n’en veut pas. On n’en veut pas et on ne veut pas les voir. On ne veut pas les voir et préfère qu’ils soient loin. Loin de nous plutôt que d’être là. Quand ils sont là, on se sent envahi. Envahi et terrassé comme à la vue d’une araignée. Des araignées, on dit qu’il en a sûrement plein chez lui. Il en a sûrement chez lui parce qu’un mec qui pue a forcément un appartement sale. « C’est sale et ça pue comme la vieille chaussette pourrie ! » dit Maxime à son voisin Gérard. Gérard aussi a ri : « C’est quand même dingue de puer comme ça ! » Puer comme ça, c’est qu’il a un vrai problème dans sa tête.
Un problème dans sa tête et tu te laves pas. Tu te laves pas parce que t’es un dégénéré. Dégénéré et les gens veulent pas de toi. On ne veut pas de toi mais c’est même pas qu’on ne t’aime pas. C’est pas qu’on t’aime pas, parce que finalement on ne te connaît pas. Toi, on ne te connaît pas, mais ton odeur beaucoup trop. Beaucoup trop pour qu’on ait envie de te connaître. Te connaître, on s’en fout parce que tu sens pas bon. Sentir bon, c’est la moindre des politesses qui soit. Aies au moins la politesse de te laver, si tu veux nous parler. Parler à ses voisins, c’est pas grand chose. C’est pas grand chose, mais ça paraît énorme, quand on ne parle plus à personne. Personne ne t’écoute, personne ne te parle. Personne ne veut avoir affaire à toi. Avoir affaire à toi, c’est l’épreuve de la journée. L’épreuve de la journée dont on préfère se passer. On préfère s’en passer comme renverser son café. Renverser son café ou sortir les poubelles. Les poubelles, ça pue et c’est pas agréable. C’est pas agréable non plus de te croiser. Te croiser, c’est une plaie. C’est une plaie et on en a marre. On en a eu marre jusqu’au jour où on a sonné chez Gérard.
Ce jour-là, Gérard a entendu une voix ferme au bout de l’interphone : « Bonjour monsieur, on cherche votre voisin de l’appartement 12, il n’ouvre pas mais nous avons ordre de rentrer pour récupérer le logement. » Abasourdi, il leur a ouvert. Il leur a ouvert, aux 10 gendarmes et à l’huissier. L’huissier a annoncé « Votre voisin ne paie plus le loyer depuis des mois ». Depuis des mois, il n’avait rien payé. Il n’avait plus payé de factures. « Il n’a plus d’électricité ni d’eau monsieur, il n’a plus rien. »
Marine Fablet.