Quand la victime est aussi le bourreau
Les frères Menendez sont de nouveau sous les projecteurs avec la saison 2 de Monstres sur Netflix. Le procureur de Los Angeles envisage de rouvrir leur dossier en vue d’une libération conditionnelle, ravivant ainsi le débat sur l’impact de la psychologie sur les principes de la justice pénale.
Les faits divers ont souvent pour habitude de présenter des récits simples : un bourreau, une victime, et un dénouement judiciaire censé rétablir la justice. Pourtant, certaines affaires brouillent cette ligne nette et remettent en question la manière dont nous percevons les notions de culpabilité et de rédemption. Parfois, les victimes d’un crime deviennent les coupables, mais ce qui est moins souvent exploré, c’est quand ces coupables étaient eux-mêmes les victimes de ceux qu’ils ont tués. Ce phénomène, où les bourreaux se révèlent être également les victimes de longues années de violence psychologique, physique, ou émotionnelle, met en lumière une zone complexe du système judiciaire.
Deux affaires emblématiques illustrent parfaitement cette ambivalence : celle des frères Menendez et celle de Gypsy Rose Blanchard. Dans les deux cas, la tangibilité de la reconnaissance d’une victime remet en cause la capacité de notre système juridique à prendre en compte la compléxcité de l’esprit humain dans le jugement des crimes. Des individus, jugés coupables de crimes graves, ont révélé avoir agi sous l’emprise de traumatismes passés infligés par leurs propres victimes. Ces affaires posent des questions cruciales sur la manière dont la justice gère les cas où les bourreaux d’un jour ont, en réalité, été victimes pendant des années. Mais plus encore, elles invitent à un débat plus large sur la relation entre justice et psychologie, et sur la capacité de notre système juridique à prendre en compte la complexité de l’esprit humain dans le jugement des crimes.
Les frères Menendez : acte de désespoir ou crime de sang-froid ?
L’affaire des frères Menendez, jugée à la fin des années 1980, a captivé l’opinion publique. Lyle et Erik Menendez ont été accusés d’avoir tué leurs parents, José et Kitty Menendez. D’abord perçus comme des enfants gâtés ayant commis un crime pour s’emparer de la fortune familiale, les frères ont, lors de leur procès, révélé un aspect plus sombre de leur histoire : ils affirmaient avoir été victimes d’abus sexuels et psychologiques infligés par leur père, José Menendez, pendant des années. Leur crime, selon eux, était le résultat d’un état de terreur constant, un ultime acte de défense face à une menace qu’ils jugeaient inéluctable. Cependant, malgré le fait qu’une grande majorité des témoignages ont dépeint José Menendez comme un homme violent et dangereux, les deux frères ont été condamnés à une peine de prison à perpétuité qu’ils continuent de purger aujourd’hui.
Gypsy Rose Blanchard : réflèxe de survie ou plan réfléchi ?
L’histoire de Gypsy Rose Blanchard est tout aussi troublante. Pendant des années, Gypsy Rose a été présentée comme une jeune fille gravement malade, souffrant de maladies multiples allant de la dystrophie musculaire à la leucémie. Sa mère, Dee Dee Blanchard, était son principal soignant et bénéficiait de l’aide de la communauté, des médecins et même de célébrités. Cependant, il s’est avéré que Gypsy Rose n’était pas malade : sa mère l’avait convaincue, ainsi que le reste du monde, qu’elle souffrait de ces affections dans le cadre d’un syndrome de Münchhausen par procuration. Le SMpP est une forme grave de maltraitance, souvent exercer sur des enfants, au cours de laquelle un adulte feint ou exagère des problème de santé de manière délibérer. Le but est d’attirer l’attention et la compassion ou la pitié d’autrui. Dee Dee contrôlait chaque aspect de la vie de sa fille, en la gardant prisonnière d’un monde de fausses maladies et de traitements médicaux non nécessaires. En 2015, Gypsy Rose, avec l’aide de son petit ami, a orchestré le meurtre de sa mère pour échapper à des années de maltraitance et de manipulation psychologique. Gypsy Rose est aujourd’hui libre tandis que son ex-petit ami, lui, purge toujours sa peine.
Une justice linéaire dans un monde sinueux
Le système judiciaire traditionnel repose sur des principes clairs de responsabilité personnelle. Lorsqu’un crime est commis, la loi cherche à identifier le coupable et à le punir. Cette approche binaire, en apparence simple et efficace, devient cependant insuffisante lorsque l’on considère l’impact des abus psychologiques, physiques ou émotionnels sur le comportement humain. La question n’est pas de nier la responsabilité individuelle, mais de comprendre dans quelle mesure cette responsabilité est influencée par des facteurs externes, en particulier dans le cadre de violences domestiques ou d’abus prolongés. Le sexe joue également un rôle important dans la perception des victimes et des coupables dans les affaires criminelles. Les femmes, comme dans le cas de Gypsy Rose Blanchard, sont souvent vues sous un prisme différent, perçues comme plus vulnérables et susceptibles d’être manipulées, ce qui peut influencer la clémence des jugements. À l’inverse, les hommes, comme les frères Menendez, sont généralement jugés plus sévèrement en raison des stéréotypes de force et de contrôle associés à leur genre. Ces biais peuvent affecter la manière dont la justice et le public reconnaissent les rôles de bourreau et de victime.
Les experts en psychologie soulignent que les traumatismes subis, notamment dans l’enfance, peuvent altérer la manière dont une personne perçoit la réalité et réagit aux menaces. Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), les troubles de la personnalité et autres maladies mentales résultant de violences prolongées peuvent transformer un individu en une « victime active », c’est-à-dire une personne qui, sous l’influence de la peur ou du désespoir, finit par agir de manière violente pour échapper à sa situation. Dans les cas extrêmes, cela peut conduire à des actes criminels comme ceux commis par les frères Menendez ou Gypsy Rose Blanchard.
Quels enjeux pour la psychologie en justice pénale ?
L’un des principaux défis auxquels est confrontée la justice est l’intégration de l’expertise psychologique dans les affaires criminelles. Bien que de nombreux procès incluent aujourd’hui des témoignages d’experts psychiatres ou psychologues, leur influence sur les verdicts reste limitée. La structure du système judiciaire tend à privilégier des faits concrets et mesurables des preuves physiques, des aveux, des témoignages au détriment d’une analyse plus nuancée des motivations sous-jacentes des accusés. Dans les affaires de violences familiales ou d’abus, la question de la légitime défense est souvent soulevée, mais elle est difficile à prouver lorsqu’il n’y a pas de danger immédiat au moment du crime. Pour les frères Menendez, par exemple, bien qu’ils aient affirmé avoir agi par peur de leur père, le fait qu’ils aient planifié l’assassinat plutôt que de réagir à une menace immédiate a joué en défaveur de leur défense. De même, Gypsy Rose Blanchard, bien qu’elle ait été la victime d’années de manipulation et de maltraitance, a vu sa culpabilité confirmée par la préméditation de son acte.
Cette difficulté à faire reconnaître les traumatismes comme un facteur atténuant dans les crimes violents soulève un problème fondamental dans la manière dont nous percevons la responsabilité individuelle. La justice traditionnelle repose sur l’idée que chacun est maître de ses actes, mais la psychologie nous enseigne que le comportement humain est souvent façonné par des expériences qui échappent à notre contrôle.
Un débat ouvert sur la justice et la responsabilité
Les affaires des frères Menendez et de Gypsy Rose Blanchard mettent en lumière une zone grise dans notre compréhension du crime et de la justice. Elles soulèvent des questions cruciales sur la manière dont nous reconnaissons les victimes dans des contextes où la violence est réciproque, insidieuse, et souvent invisible pour le monde extérieur.
Devons-nous réviser notre conception de la justice pour mieux intégrer la psychologie dans le jugement des crimes ? La reconnaissance des traumatismes subis par les accusés doit-elle jouer un rôle plus important dans la détermination de leurs peines ? Ou est-ce que la société doit continuer à punir, parfois de manière aveugle, les crimes, même lorsque ceux-ci sont commis par des victimes qui n’ont jamais trouvé d’autre échappatoire à leur souffrance ?
Il est impératif que le système judiciaire prenne davantage en compte les traumatismes psychologiques des victimes, en particulier dans les affaires où celles-ci deviennent bourreaux après des années d’abus. Les traumatismes mentaux, tout comme les blessures physiques, peuvent altérer profondément le comportement d’une personne. La recherche en psychologie montre que les abus prolongés, qu’ils soient émotionnels, physiques ou sexuels, peuvent déclencher des réactions extrêmes chez les victimes, notamment des actes de violence. Ne pas intégrer ces facteurs dans l’évaluation des crimes revient à ignorer une partie essentielle de l’histoire de l’accusé et de la dynamique du crime. Les exemples des frères Menendez et de Gypsy Rose Blanchard illustrent clairement cette réalité. Ces personnes n’ont pas agi par pure cruauté ou avidité, mais sous l’effet d’une peur et d’une souffrance enracinées dans des années de maltraitance. Condamner ces individus sans tenir compte de l’impact des abus subis sur leur psychisme revient à rendre une justice incomplète, voire injuste. La reconnaissance des traumatismes ne signifie pas excuser les actes criminels, mais bien les comprendre dans un cadre plus large. Cela permettrait de juger avec plus de nuance et d’humanité, en prenant en considération les facteurs qui poussent une personne à commettre l’irréparable.
Le système actuel, souvent trop rigide, doit évoluer vers une approche qui combine la justice rétributive avec la justice réparatrice. La justice rétributive est une justice qui implique que le criminel reçoit une peine proportionnelle au méfait qu’il a commis : si une discrimination est dirigé contre personne à mobilité réduite, l’auteur de cette discrimination se verra imposer un travail d’intêret général auprès de personnes en situation de handicape. Une justive réparatrice vise plutôt à encourager les criminels à assumer les conséquence de leurs actes, par exemple au travers d’un remboursement d’un bien volé. Il ne s’agit pas d’atténuer les peines de façon systématique, mais d’offrir une réponse plus adaptée aux situations complexes où les bourreaux d’un jour ont été les victimes pendant des années. Une justice qui intègre pleinement les traumatismes psychologiques permettrait non seulement de punir les crimes, mais aussi d’adresser les causes profondes, ouvrant ainsi une voie vers la guérison et la réhabilitation des individus concernés.
Enfin, traiter différemment les hommes et les femmes victimes dans les affaires criminelles présente un réel danger pour la crédibilité et l’équité de la justice. Lorsqu’un système judiciaire applique des standards distincts en fonction du genre, il perpétue des stéréotypes qui nuisent à la perception d’impartialité. Les femmes, souvent vues comme vulnérables ou manipulées, bénéficient parfois de jugements plus cléments, tandis que les hommes, perçus comme plus forts ou dangereux, sont jugés avec plus de sévérité. Cela crée un déséquilibre dans la reconnaissance des souffrances psychologiques et physiques subies, indépendamment du genre. Bien que les exemples des frères Menendez et de Gypsy Rose Blanchard proviennent des États-Unis, ces biais de genre existent dans de nombreux systèmes judiciaires à travers le monde. Cette disparité de traitement peut nuire à la confiance publique dans la justice et envoyer un message erroné : les victimes masculines d’abus sont moins dignes d’empathie ou de compréhension, et les femmes accusées bénéficient de circonstances atténuantes automatiques. Un tel schéma renforce des idées préconçues injustes et donne l’image d’une justice inégale, qui traite les affaires en fonction de préjugés sociaux, et non sur la base des faits et des souffrances individuelles.