Propagande et démocratie : une histoire impossible ?
La propagande, quel vilain mot. Il rappelle les heures les plus sombres de l’histoire : on a tous en tête les affiches du régime nazi, les affiches du « grand timonier » : Mao tse tung, les affiches du régime de Vichy… Bref, les premières choses qui nous viennent à l’esprit à l’évocation de la « propagande », c’est une aura négative, ce sont les régimes autoritaires. Et bienheureux les citoyens vivant en démocratie, barrière à cette pratique réservée aux dictatures.
Et pourtant… les sociétés démocratiques sont-elles vraiment protégées contre la propagande ? Si l’on regarde la définition de cette dernière : « Action systématique exercée sur l’opinion pour lui faire accepter certaines idées ou doctrines, notamment dans le domaine politique ou social »1, on comprend que c’est un moyen pour orienter l’opinion publique.
Or si l’on compare la démocratie au système solaire, l’opinion en est le soleil. Les décisions politiques ne peuvent être prises qu’avec le consentement de l’opinion publique. On a pu le voir lors de la crise des gilets jaunes : la taxe carbone fut annulée après 3 semaines de violentes manifestations. De plus, dans les différents journaux télévisés l’opinion publique est toujours sondée par d’éternels sondages. Selon Jacques Julliard la démocratie serait rentrée dans un temps de « doxographie » «fondée sur l’intervention permanente de l’opinion dans les affaires publiques »2.
Donc quoi de plus normal pour les responsables politiques, les grands groupes industriels d’essayer de faire pencher l’opinion publique dans leur sens ?
Dans un monde de la communication, la question de l’information est primordiale pour comprendre quelle influence ont les décideurs sur l’opinion.
La condition sine qua non d’une démocratie est l’accès libre à l’information : il faut que les citoyens puissent s’informer du mieux possible, en regardant différentes sources, avec différents points de vue pour ensuite trancher en fonction de ce qu’il pense être juste. Comme l’a écrit Julia Cagé : la démocratie n’est pas simplement « un homme, une voix », mais « un homme informé, une voix ».3 Les chercheurs Gentzkow, Shapiro et Sinkinson ont montré que la participation politique s’est accrue quand les premiers journaux quotidiens sont apparus, sur la période 1869-1928. Leur étude montre que plus un citoyen sera informé, plus il ira probablement voter.4 L’exercice démocratique est efficient à condition que les citoyens soient bien informés, avec des points de vus pluriels.
Or aujourd’hui, nous faisons face à une concentration des médias. En effet, si nous prenons l’exemple des États-Unis, dans les années 1980 ça n’est pas moins d’une cinquantaine de firmes qui possèdent les médias (radio, journaux, magazines, maisons éditions, etc.) contre seulement 7 en 2018 (dont 40 % pour Disney).5 En France, 89,9 % des quotidiens nationaux, 55,3 % des parts d’audience TV et 40 % des parts d’audience radio sont détenus par dix milliardaires.6 Dans cette concentration des médias, on constate que les acteurs sont étrangers au monde de l’information : géant des Télécoms, industrie de l’armement, du luxe, de la culture, etc. et la déontologie journalistique n’est pas leur priorité. De plus, la propriété des médias en France n’est pas transparente selon une étude commune de LIEPP Sciences Po et Reporter Sans Frontières en 2017. La loi obligeant un média à communiquer le nom, prénom et profession de ses actionnaires détenant au minimum 5 % du capital n’est pas respectée.7 Dernier constat,ce sont des proches du pouvoir qui s’emparent des grands médias selon une étude de Reporter Sans Frontière.8
Ainsi, toutes les conditions sont réunies pour que la propagande puisse s’épanouir: une opinion qui compte, des médias pour l’influencer et une concentration médiatique qui laisse peu de place aux discours dissonants.
Clément Baudon
1- Définition Larousse.
2- Gérard Courtois, « L’opinion publique, stade suprême de la démocratie ? », Le Monde, 15 janvier 2008
3- Julia Cagé, « 8. Médias et Démocratie », Regards croisés sur l’économie, 2016
4- idem
5- COLON David, Propagande, la manipulation de masse dans le monde contemporain, Belin, 2018.
6-7-8- Idem.