[Critique ciné] Le bouleversant “portrait d’une jeune fille en feu”
Céline Sciamma a réussi à donner au cinéma un bol d’air frais qui était tant attendu, surtout par les femmes. C’est une bouleversante histoire d’amour, entre deux jeunes femmes, qui ressortit de ce long métrage simple et pur, où se mélangent poésie et romance au détour de la peinture et des jeux de regards.
“Le portrait d’une jeune fille en feu” est une histoire d’amour au sens large. C’est à la fois le cheminement de la découverte des sentiments amoureux, les interrogations qu’ils posent, et en même temps le souvenir ; l’empreinte qu’ils laissent sur leur passage. C’est aussi une occasion pour Céline Sciamma de parler des artistes femmes dans une époque où celles-ci n’avaient pas la parole et étaient cachées occultées par les hommes. En 1770, Héloïse, revenant du couvent après avoir perdu sa sœur, refuse d’être peinte pour éviter de se marier avec un Milanais qu’elle ne connaît pas. Marianne, artiste peintre, ayant repris la succession de son père, doit alors réussir à exécuter son portrait en se faisant passer pour sa dame de compagnie. Elles resteront une semaine à se regarder et à apprendre, ensemble, à reconnaître ce qu’est l’amour. Chaque personnage se découvre au travers du regard de l’autre, et, au fur et à mesure, apprend à s’émanciper des conventions qui le contraint.
Volontairement dépouillées, autour du décor minimaliste et du seul paysage de la côte bretonne, les scènes se déroulent dans la maison d’Héloïse ou sur la plage. Ce n’est pas pour déplaire à ceux qui voudront voir autre chose que les grosses productions et les riches décors cinématographiques. Plaisant à voir car les images sont épurées, permettant de focaliser l’attention du spectateur sur l’essentiel, sur les regards des personnages. Lorsque les deux jeunes femmes sont sur la côte, la mer et le sable en fond, elles sont seules sont ainsi en couleurs. Elles sont de profil, il n’y a aucun dialogue, et ne se regardent que par intermittences. De même lorsque Marianne peint Héloïse, se sont là encore des jeux de regards, celui de l’observatrice et de l’observée, parfois gênés, embarrassés, qui font ressentir au spectateur le désir qui émane.
La question de la condition féminine de l’époque est remarquablement introduite. Du fait d’Héloïse, résignée à prendre pour époux un homme qu’elle ne connaît pas, car sa mère l’y oblige, et de la domestique qui ne souhaite pas garder son enfant. Lors d’une scène, celle-ci applique les nombreux conseils que les femmes pouvaient se donner pour faire fausse couche, incluant de courir, ou se pendre par les mains.. Elle se résout à avorter, d’une manière dangereuse, puisque c’est alors interdit. Film d’époque aux causes modernes, car l’avortement, la liberté de la femme ou les couples lesbiens sont encore d’actualité dans les combats, il intègre habilement ces sujets le propos principal. Et cela fait du bien !
Invitation à la réflexion sur la place que peut avoir un artiste en tant que femme, souvent dominée par le poids des hommes, le “Portrait de la jeune femme en feu” est à voir sans modération. Libérateur et émouvant, film écrit par une femme, joué par des femmes, Le Portrait… est nécessaire. Pour les femmes, pour le cinéma.
Éléna Garcia
Le film est actuellement en salles