[#NOUS AVONS LU] Le cinéma, miroir des métamorphoses intérieures

« Quel film a changé votre vie ? » C’est la question simple et vertigineuse que pose le livre Ils ne sont pour rien dans mes larmes d’Olivia Rosenthal. Composé de quatorze récits individuels, ce recueil rassemble des expériences cinématographiques fortes. Sa lecture nous donne envie de prendre la plume pour parler d’un film. Voici donc un quinzième témoignage, purement personnel.

Vous savez, il y a ce genre de film dont on entend parler en se disant « Tiens, il faudrait que je le vois celui-là » et puis on met des années à le voir. Et quand, enfin, on tient parole, voilà qu’on s’exclame « Mais pourquoi n’ai-je pas vu ce film plus tôt ? ».
Tout récemment, je me lançais dans un marathon de films de vampires. Nosferatu (Murnau, 1922), Dracula (Coppola, 1993), Vampyr (Dreyer, 1932), etc. Dans le lot, c’est Entretien avec un vampire (Neil Jordan, 1994) qui s’est instantanément démarqué dans une dimension plus personnelle qu’objective.
Je pense qu’un bon nombre de personnes ont vu ce film pour les beaux yeux de Tom Cruise ou de Brad Pitt. Les deux acteurs principaux réalisent effectivement une très belle performance qui rend encore plus vivants des personnages pourtant morts-vivants. Mais laissons de côté le casting du film. Entretien avec un vampire, c’est un récit qui interroge. Qui, à travers ces créatures de la nuit que sont les vampires, nous interroge nous, les humains. Souvent désabusés par la vie comme l’est Louis de Pointe du Lac, encore mortel au début du film, on se prend à rêver à une autre existence. Si l’on vous offrait l’immortalité, accepteriez-vous ce cadeau empoisonné ? Seriez-vous prêt à laisser derrière vous votre vie actuelle, à y renoncer à tout jamais ? C’est la question que pose le film, à travers le récit de Louis et les regrets qui l’habitent. La longue histoire que confie le vampire au journaliste qui l’interroge témoigne d’une vie misérable, d’attachement et de perte, de soif et de douleur. Si cette histoire est racontée, c’est pour faire choir la créature vampirique du piédestal où la culture populaire l’a placée et rétablir la vérité sur un monstre bien trop idéalisé. Et pourtant, c’est le personnage qui écoute ce long récit, le journaliste, qui passe le plus à côté du message. Aveuglé par le désir d’immortalité et la soif de pouvoir, il continue d’idéaliser la condition dans laquelle se trouve son interlocuteur. Dans l’intimité de l’entretien, c’est cet homme, représentant implicitement l’humanité, qui échoue à apprendre des erreurs commises avant lui.
Et nous, spectateurs, nous ne pouvons qu’imaginer notre choix. On se met à repenser à sa propre vie, à ce que l’on a à perdre. Et enfin, on comprend que c’est la mort qui donne son sens à la vie. Que sans elle, l’existence n’est qu’une suite interminable d’évènements douloureux. Qu’une histoire qui ne finit pas n’est pas une bonne histoire. Et c’est sûrement ça que le film, à travers ses riches décors et ses acteurs impressionnants, nous apporte. Une réflexion qui va au delà des biens matériels et de la puissance. Une réflexion qu’on ne retrouve que rarement dans le cinéma de vampires qui penche souvent plutôt dans l’horreur ou l’érotisme.
Mélissandre Ferrand,
Envoyée spéciale au Festival International du Film de la Roche-sur-Yon
© Warner Bros
Entretien avec un vampire
Neil Jordan
1994

 

Cet article a été rédigé selon la logique du livre d’Olivia Rosenthal Ils ne sont pour rien dans mes larmes à l’occasion du Festival International du Film de La Roche sur Yon et de la table ronde sur les adaptations littéraires qui s’y est déroulée. Le livre est toujours disponible sur la table des libraires.

© éditions Verticales



Ils ne sont pour rien dans mes larmes
Olivia Rosenthal
2012
Editions Verticales