[#Nous avons vu] The Ugly : le visage caché de la monstruosité humaine

Silence pesant, visages effacés. Le cinéma de Yeon Sang-ho change de visage : de l’horreur spectaculaire à l’observation clinique du monstrueux ordinaire. The Ugly se présente comme une enquête sur le visible — ou plutôt l’invisible — dans les recoins d’une mémoire familiale marquée par l’obsession, la honte et l’apparence.

Dans ce film à la construction éclatée, Dong-hwan (Park Jeong-min) découvre, après la révélation du squelette de sa mère disparue depuis quarante ans, que tout ce qu’on lui a dit d’elle n’est que mensonges. Avec l’aide non-sollicitée d’une journaliste, il interroge, scrute les témoignages des anciens collègues et « proches » de sa mère, et retrace des trajectoires brisées. Mais l’image de la mère, Jung Young-hee, reste protégée — jamais montrée en entier —, comme si révéler son apparence ferait s’effondrer tout l’édifice narratif. Le choix de cacher son visage devient une mise en accusation : nous sommes forcés de regarder les yeux des autres, de subir leur jugement et de percevoir la laideur qu’ils lui ont prêtée.

Le film déploie une violence lente, distante, mais impossible à ignorer : la violence des mots (« laide », « monstre »), des silences et des regards qui jugent sans pitié. On y voit des portraits fragmentés, des flashbacks cadrés à distance et des interviews qui se répètent, comme les strates d’un traumatisme qu’on creuse sans mesure. Pourtant, dans cette accumulation de douleur, le film ne parvient pas pleinement à densifier ses personnages : le père, artisan aveugle au talent presque miraculeux, reste ambigu, coincé entre grandeur et culpabilité.

The Ugly vaut le détour, précisément parce qu’il refuse le spectaculaire et impose une lente immersion dans l’horreur banale. Il nous confronte à une vérité simple et terrifiante : le regard que l’humain porte sur l’autre peut être plus brutal que n’importe quel monstre. Le jeu des acteurs est impressionnant et l’économie de moyens (trois semaines de tournage, équipe réduite) participe à renforcer l’austérité du récit.

En fin de compte, The Ugly est une invitation à l’examen de nos jugements : qu’avons-nous à dire lorsque l’on nomme “monstre” un visage qu’on ne montre jamais ? Et plus encore, a partir de quel âge la violence du regard s’instaure t-elle lorsque l’on croit ne pas être vu ? C’est là que réside la force du film : dans cette tension entre ce qu’il nomme et ce qu’il préfère taire.

 

Alicia Chedhomme
Envoyée spéciale au Festival Internationale du Film de La Roche-sur-Yon

The Ugly (2025) de Yeon Sang-ho.
Diffusé le samedi 18 octobre à 18h30 au Concorde
Durée : 102 minutes
Langue : Coréen (sous-titré Français)