Au mois de novembre, nous célébrons tristement la journée mondiale de la prévention des abus envers les enfants (19 novembre), ainsi que celle consacrée aux droits de l’enfant (20 novembre), des droits aussi bien peu respectés dans certaines régions du monde que dans notre propre pays parfois. Nous avons tous une place dans cette lutte, un rôle à jouer, bien que l’on ne sache pas toujours duquel il s’agit. Un sourire, un regard bienveillant, un signalement. Un partage sur les réseaux sociaux qui peut sauver une vie. Aujourd’hui, c’est à mon tour d’apporter ma pierre au rempart contre l’indifférence face à ce fléau. Demain, je ne doute pas que cela sera à vous. Je vous propose de découvrir une nouvelle, une histoire en cinq pages : celle d’un enfant. Peut-être vous, une sœur, un cousin, un voisin. Un enfant qui vit, qui voit, qui entend ces choses dont on n’ose pas parler.

 

Découvrez la suite de la nouvelle écrite par Andréa Louvel, Zéro :

3. Les Masques

Ne t’assieds pas sur la chaise. Ne t’assieds pas sur le canapé. Ne touche pas l’évier, si tu veux boire, bois de l’eau en bouteille. N’ouvre pas le frigidaire, tu vas renverser les bouteilles d’eau ! Les aimants sur le frigidaire, tu les as bougés, maintenant mon emploi du temps n’est plus droit ! Et remets cette brosse à sa place, tu as déjà trop bougé le peigne sur la droite et tu vas mettre des cheveux partout ! Allez c’est ça, va dans ta chambre, mais ne touche pas les draps, j’ai fait le lit parfaitement ce matin, et parce que tu ne l’as pas fait !
La dernière partie était vraie et justifiée. Mais pourquoi donc se fatiguer à faire quelque chose qui serait défait pour qu’il le refasse ? Je ne fais jamais assez, alors cela fait trois ans que je m’épargne cette peine. Je m’ennuie. Le lycée est l’unique bouée de sauvetage qui me maintient à flot. Je m’y amuse plus que dans n’importe quel autre endroit, alors que tous mes camarades pensent le contraire : ils ont leurs activités extra-scolaires, ils invitent leurs amis et fêtent des anniversaires – toutes ces choses me sont interdites. J’ai maintenant quinze ans et je ne peux inviter personne à la maison. Je fais mine que tout va bien, tout le monde s’en fiche de toute manière ; nous avons tous nos problèmes. Les miens sont juste plus compliqués. Je porte un masque, non, deux masques en fait. Le jour, je revêts mon masque souriant, rose, rouge et orange, des couleurs chaudes et chatoyantes censées convaincre les autres que je suis cette personne joyeuse qui fait souvent des bonnes blagues. Mais dès que je franchis le seuil de ma maison, j’ôte mon déguisement flamboyant et enfile mon masque désaturé, décoloré – le masque du silence, pour qu’il me laisse tranquille tout en pensant qu’il a le contrôle sur moi. Malgré leurs différences, ces masques ont un point commun ; là où devrait être un espace pour la bouche, il n’y a rien, seulement la continuité du masque. Je ne parle presque plus maintenant. Je commence à oublier le son de ma propre voix. Parfois je me demande si la punition me guette pour avoir osé respirer trop fort. Imaginez, comme dans Barbe Bleue et sa pièce interdite. Seulement, dans mon histoire, l’utilisation de chaque pièce et de chaque objet est prohibée. Alors, juste au cas où, je reste le plus souvent dans ma chambre, après avoir claqué la porte derrière moi, comme pour défier de manière pas si subtile son autorité oppressante. Je m’assois sur ma chaise grinçante, dans ma chambre grise, dans ma… Je ne sens plus vraiment que c’est ma maison. C’est devenu l’endroit où je survis, rien de plus. Il a réussi à me dérober ce sentiment agréable d’être chez soi, cette sensation de confort sous son propre toit après une journée épuisante. Sangsue. Petit à petit, il aspire mon identité. Je ne serai bientôt plus rien si personne n’agit. Oublierai-je même jusqu’à mon nom ?

Suite très bientôt…

 

Je vous souhaite une bonne lecture, et je vous invite à me contacter si vous avez un commentaire à partager sur mon histoire ~ (Instagram : @anddrea.lvl)

 

Article et nouvelle par Andrea LOUVEL