« Chanson douce », de Lucie Borleteau
Thriller intriguant mettant en scène une nounou mentalement dérangée, Chanson douce surprend par son ambiguïté dans la mise en scène d’un univers familier où évolue la protagoniste principale ; univers qui contraste avec les problèmes psychiques de celle-ci, nés de sa misère..
Film tiré du roman de Leïla Slimani, Chanson douce retrace les ennuis d’un jeune couple qui a cherché une personne pour garder ses deux enfants. Après maintes recherches, ils finissent par trouver une garde à domicile du prénom de Louise. Au fil de l’intrigue, on prend conscience du malaise qui s’installe à l’insu des parents vu le comportement bizarre de cette nounou qui en vient notamment à mordre les enfants. Les parents, quant à eux, sont aveuglés : l’arrivée de Louise leur fait gagner un peu de répit et leur accorde du temps pour vivre en couple ; ce qui les rend inconscients du danger. On se reconnaît alors au travers des yeux des enfants : nous sommes spectateurs de ce que Louise leur fait subir, contrairement aux parents qui sont au travail. Nous sommes dans la peau des petits, et un malaise s’installe — une forme de frustration ; ressenti de nous savoir impuissants face à ce qu’il se passe.
Le spectateur a toujours un temps d’avance, comme l’affirme la réalisatrice : « Le film est en équilibre. Au début on est presque dans une réalité documentaire qui bascule dans le film d’horreur. » Effectivement, Chanson douce sort des codes classiques de l’horreur, puisqu’il n’y pas de « grand méchant » vraiment identifiable. C’est un individu lambda qui évolue vers la démence dans un univers familial. C’est là tout l’équilibre du film qui est maintenu de façon exceptionnelle. Au fur et à mesure, Louise sombre dans la folie et passe de femme forte à un état de personnage vulnérable, sensible, pauvre… qui la mène à venir commettre le pire. En suivant sa vie professionnelle et personnelle, on cherche une forme de compassion envers ce personnage perdu que l’on comprend.
Karin Viard (> ici l’an dernier), dans le rôle de la nounou Louise, incarne avec brio la femme dérangée évoluant dans un milieu pauvre, où, isolée, elle n’apparaît être qu’une victime de la misère. Elle se retrouve et se console au travers des enfants qu’elle garde, comme si c’étaient les siens. La déchéance dans laquelle elle sombre est fulgurante et en synchronicité avec l’humiliation sociale dont elle est victime, issue d’un milieu pauvre venant d’accéder à l’univers d’un couple aisé. Monstrueuse de solitude, elle subit une forme d’humiliation sociale qui nous fait appréhender la construction de cette femme qui devient psychiquement déstabilisée. Chanson douce, qui met en lumière misère sociale filant vers une fin tragique, est saisissant. Une incarnation spectaculaire de la folie, révélatrice d’un fléau sociétal.
Un personnage marquant, dont la monstruosité reflète notre humanité, entre tendresse et démence. Chanson douce sort au cinéma le 27 novembre prochain.
Corentin Devernois