Carrément à l’est d’Eden
Dernier film de Pietro Marcello, « Martin Eden » adapte librement le célèbre roman de Jack London. Pietro Marcello resitue l’histoire en Italie dans la deuxième moitié du 20e siècle. Martin Eden tente de conquérir une jeune bourgeoise en se sortant de sa condition au sein de la classe populaire.
Jeune marin, Martin Eden fait la rencontre d’Éléna. Il est introduit auprès de la famille de la jeune fille après avoir pris la défense du jeune frère face à un gardien du port bien énervé. Martin tombe follement amoureux d’Éléna. Pour la conquérir, il décide de franchir les barrières culturelles qui les séparent : il s’instruit frénétiquement, potassant des livres d’histoire, de grammaire, de philo, et apprend à bien écrire. Et pour la conquérir complètement, il prend une grande décision : il sera écrivain. La suite ? Une longue vie de réussites et de déboires.
En se réappropriant le roman de Jack London, Pietro Marcello délocalise l’histoire des États-Unis vers l’Italie. Cette transposition peut être interprétée comme une volonté du réalisateur de symboliser l’universalité de la lutte des classes, à une époque de fortes revendications sociales partout dans le monde.
De plus, la volonté de Martin Eden de devenir un grand écrivain cristallise la quête humaine du bonheur. Il sacrifie ses relations avec sa famille et ses amis, pour se rendre digne d’épouser Éléna.
L’histoire défend aussi une certaine idée du déterminisme social. Malgré tous ses efforts pour s’extraire de sa condition d’ouvrier, d’individu issu de la classe populaire, Martin Éden ne sera jamais considéré comme un égal par les classes supérieures. Il le comprend très bien. Au point de les rejeter rageusement lors d’une conférence de presse en les apostrophant : « Martin Éden n’existe pas », « Vous ne l’aurez jamais ! ». Quitte à se couper de son lectorat, ce public issu de la classe dominante, dont Martin ne fera jamais partie.
Pietro Marcello signe une magnifique adaptation du livre de Jack London. De par leur composition, les plans font penser à de la photographie d’art. Le « grain » de l’image donne une touche vintage au film, en accord avec les images d’archives, qui s’intercalent dans la continuité du récit. Pour couronner le tout, Luca Marinelli, jouant le rôle de Martin Éden, livre une prestation éblouissante, large palette d’émotions qui fait ressentir toutes les joies et tous les tourments de son personnage.
Pour autant, le film n’est pas sans défaut, notamment son tempo : des séquences mériteraient d’être écourtées, et certains raccourcis plus étayés, comme son passage abrupt de l’anonymat au succès d’écrivain.
Une chose est sûre : ce film est un pont vers l’œuvre originale de Jack London, et donne envie d’aller découvrir cette histoire sur papier. De quoi méditer sur les impossibilités de transgresser les classes sociales, ou de philosopher sur la force impérieuse de l’amour. De l’amour tout court ou de l’amour de l’argent.
Clément Baudon