Thomas Hope
L’IUT de La Roche-sur-Yon a organisé comme chaque année un concours de nouvelles au sein du département Information-Communication. Voici la nouvelle qui a remporté la seconde place. Bonne lecture !
Thomas Hope
Du haut de ses huit ans, Thomas Hope n’avait rien d’un grand intellectuel.
D’un naturel doux et rêveur, sa personnalité en son entier contrecarrait tous les plans que son père nourrissait pour son avenir. Il l’imaginait scientifique ou architecte, mais en aucun cas auteur ou peintre. Cependant, malgré ce qu’il considérait comme des défauts, Richard Hope ne pouvait nier la détermination de son fils.
Chaque soir, Thomas révisait ses mathématiques et, ce, jusqu’au coucher. Richard se contentait alors d’attendre qu’il s’endorme pour refermer ses livres et le porter jusqu’à son lit.
Lui-même n’avait pas eu une carrière brillante, et il désirait plus que tout au monde que son petit garçon connaisse une autre vie que celle d’un chômeur régulier. Il voulait lui rendre visite dans une maison aux pièces vastes et bien entretenues, qu’il lui serve un bon verre de vin plutôt qu’une vulgaire cannette de bière, il souhaitait qu’il se retrouve marié à une gentille femme qui lui donnerait de beaux enfants…
Alors Thomas travaillait, se privant même de sorties avec ses copains qui finirent par lui préférer d’autres garçons. Ainsi, il restait souvent seul, à remplir des cahiers entiers de calculs jusqu’à ce qu’il puisse les effectuer sans l’aide de ses doigts en classe.
Chaque fois qu’il rapportait une note à la maison, Richard persistait à lire son journal et ne relevait les yeux que si le résultat dépassait ses attentes. Cela ne se produisait pour ainsi dire jamais, mais Thomas souriait toujours et continuait de promettre qu’un jour, il deviendrait le meilleur élève.
Le 05 Octobre de l’année 2000, Thomas aimait écrire cette date car le 0 représentait pour lui l’harmonie parfaite, le miracle se produisit. La semaine passée, leur maître leur avait donné une série d’additions, de soustractions et de multiplications à résoudre, et Thomas avait remporté le plus haut résultat. Cela éveilla la jalousie de certains de ses camarades, mais la plupart préférèrent simplement ignorer le petit garçon et son sourire comblé.
Thomas conserva précieusement son devoir et le glissa dans une pochette plastifiée pour éviter tout risque de détérioration. Ce détail amusa son professeur et son regard bienveillant le suivit lorsque, en fin d’après-midi, le petit garçon se rendit devant la grille de l’école pour attendre son père. Mais Richard ne vint pas le chercher, comment son fils pouvait-il deviner qu’il passait sa journée chez sa nouvelle petite-amie et avait cessé de se soucier de l’heure dès qu’elle se dénuda devant lui ?
Thomas songea qu’il devait être simplement endormi ou malade, ainsi il jeta un dernier coup d’œil derrière lui et décida de partir tout seul. Il habitait à environ vingt minutes à pieds de la maison, mais il ne se découragea pas.
Il se plut à imaginer la réaction de son père lorsqu’il lui présenterait finalement le fruit de son travail, cette fois Richard lèverait les yeux de son journal. Il lui sourirait, le féliciterait, peut-être même lui offrirait-il un paquet de ces bonbons qu’il adorait ou bien il l’enlacerait et regarderait un beau film avec lui durant la soirée. Thomas aimait particulièrement les Disney, et cela faisait longtemps qu’il n’en avait plus regardé, son père le lui interdisait en déclarant que les films d’animation lui abrutissaient l’esprit. Richard se montrait exécrable à ce sujet depuis que sa femme était décédée deux ans plus tôt. Elle programmait toujours une soirée Disney avec eux, mais ces souvenirs restaient encore trop douloureux et le petit garçon ne lui en voulait pas de les fuir comme la peste.
Thomas marcha d’un pas guilleret dans les rues de la ville en souriant sans relâche aux passants. Ces derniers ne résistaient généralement pas à l’envie de lui rendre la pareille. L’enfant évitait simplement de regarder trop longtemps les messieurs avec un air bizarre, son père lui disait toujours de ne pas leur faire confiance même si jusqu’ici, il n’avait rencontré aucun problème.
Lorsque, enfin, il atteignit sa rue, Thomas s’arrêta devant le passage pour piétons et attendit que le petit bonhomme passe du rouge au vert. Il détestait la couleur rouge, elle lui rappelait le sang que sa maman crachait dans le lavabo en priant pour qu’il ne le remarque pas. Par chance, il n’attendit pas longtemps et Thomas se mordilla la lèvre d’impatience en posant finalement son pied sur la première bande blanche. Le petit bonhomme vert le rassura et il s’engagea sur le passage avec entrain, ses yeux fixant la lumière en espérant marcher suffisamment vite pour ne pas la voir reprendre la teinte qu’il abhorrait tant.
Comme hypnotisé, il cligna des yeux une fois parvenu de l’autre côté et se précipita vers l’entrée de la maison. Sa petite main d’enfant cogna énergiquement contre la porte, mais son sourire s’évanouit progressivement. Confus, Thomas appela son père, mais il ne reçut aucune réponse.
Craignant de l’avoir agacé sans le savoir, Thomas promit d’être sage, de toujours travailler dur, de ne plus le déranger pendant qu’il regardait ses matchs de rugby à la télévision ou lisait son précieux quotidien, mais rien n’y fit. Alors il s’assit sur les marches et repoussa avec efforts les sanglots qui naquirent dans son cœur avant de gagner sa gorge. Ses yeux verts se remplirent de larmes, et même les passants ne prirent plus la peine de le saluer.
Thomas resta par conséquent seul, frappé par le vent automnal et les feuilles mortes qui s’aventurèrent jusqu’à lui, comme si elles se moquaient de sa tristesse, elles aussi.
Épuisée par sa journée de travail, Emma Weaver s’affala dans son vieux mais confortable canapé. Tournée vers le plafond, la jeune femme vida son esprit en comptant les taches abandonnées là par l’ancien locataire. Ce dernier n’avait jamais pris la peine de les nettoyer, et personne n’avait occupé les lieux entre son départ et son emménagement il y a deux mois ainsi elles restaient là, à attendre le coup fatal qui rendrait au plafond sa blancheur presque immaculée. Mais Emma repoussait constamment l’échéance. Pour le moment, elle vivait très bien ainsi. D’autres points négatifs venaient ternir le tableau et ceux-là, en revanche, accaparaient son attention.
À titre d’exemple, elle détestait l’odeur d’alcool qui semblait encore émaner des murs. L’agence qui lui avait recommandé ce logement au loyer avantageux n’avait jamais fait mention de ce désagrément, qu’elle ne nota qu’au terme de plusieurs jours. Le précédent occupant des lieux, Richard Hope, portait manifestement très mal son nom. Elle l’imagina envoyer des bouteilles se briser contre les murs, et frissonnait en se remémorant les diverses rumeurs à son sujet.
L’autre détail qui la dérangeait particulièrement était lié à la porte d’entrée. Non pas qu’elle fut en mauvais état, mais tous les soirs elle entendait des coups, très légers, comme si quelqu’un hésitait à la déranger. Hors cela l’irritait particulièrement car chaque fois qu’elle se décidait à ouvrir, personne n’attendait sur le palier.
Emma ferma les yeux en soupirant longuement pour se détendre. Un dossier n’attendait qu’elle pour être complété mais elle était simplement trop fatiguée. Une sieste ne pourrait lui faire de mal.
Lorsqu’elle souleva ses paupières, le soleil entamait sa longue descente et son cœur s’emballa en entendant des coups pressants à la porte. Elle inspira pour se calmer, cela n’avait rien de nouveau.
Encore perdue dans son état de demi-sommeil, la jeune femme émit un grognement de gorge en inclinant péniblement la tête en direction de son réveil. 05 Octobre 2004, elle avait pourtant l’impression d’être restée dans l’étreinte de Morphée davantage que deux heures.
Les coups s’interrompirent un instant avant de reprendre de plus belle, et cette fois Emma se redressa comme un animal à l’affut. « Ça va s’arrêter », pensa-t-elle en frottant son visage envahi par quelques mèches brunes d’une main légèrement moite.
Elle patienta, tendue, avant de trouver la force de quitter son lit improvisé. Peut-être s’agissait-il de l’un de ces adolescents qui perturbaient le quartier, mais de toute manière elle avait pris la résolution de signaler ces nuisances au poste de police. Cette plaisanterie devait prendre fin avant que ses nerfs ne lâchent pour de bon.
Afin de coincer cette véritable nuisance, Emma enjamba prestement les cartons encore au sol et combla l’écart avec la porte d’entrée en quelques courtes secondes.
Un sentiment de victoire l’envahit alors que sa main se posa sur la poignée au moment même où un nouveau coup résonna dans la maison. Elle ouvrit la porte avec plus de force que nécessaire et fronça les sourcils en ne voyant personne. Agacée, la jeune femme baissa alors les yeux et haussa un sourcil en constatant qu’un enfant, un garçon aux cheveux bruns et aux chaleureux yeux verts, lui tendait ce qui s’apparentait à une copie d’école.
« C’est toi qui vient chaque soir ? »
En guise de réponse, l’enfant ne fit rien d’autre que battre des paupières, et ses bras demeurèrent levés vers elle comme s’il lui présentait la plus précieuse des offrandes. Emma soupira, une main sur sa hanche.
« Tu es sourd ou quoi ? Vas-t-en au lieu de me déranger ! Tu as bien des parents non ? »
Elle se reprit lorsque des larmes gagnèrent les yeux du petit, et son ton s’adoucit considérablement. Son angoisse envolée, Emma s’avoua intriguée et elle avança une main dans sa direction.
« Qu’est-ce que c’est ? »
Comprenant qu’elle acceptait bel et bien sa copie, Thomas la lui céda avec plaisir avant de joindre studieusement ses mains dans son dos.
« Waouh, je crois que j’ai jamais eu une telle note en maths, tu dois être vraiment doué. »
Thomas resta silencieux, et sourit. Son visage retrouva alors son innocent éclat d’antan. Son travail ainsi que sa valeur étaient finalement reconnus et il se sentit heureux, en paix.
Il se détourna en silence et ses chaussures usées descendirent les marches une dernière fois, son corps s’évanouissant dans l’air avant qu’il ne puisse atteindre la route, celle-là même qui se reput de son sang quatre ans plus tôt.
Le petit bonhomme vert n’avait pu l’avertir qu’un homme avait décrété, en ce fatal après-midi d’octobre, qu’un rendez-vous possédait plus d’importance que la vie d’un enfant.
Toute la ville fut horrifiée par l’accident, comme Emma le comprit en interrogeant plusieurs habitants avant de se rendre au cimetière pour déposer des fleurs fraiches sur la petite tombe de Thomas Hope.
Jamais plus Emma n’entendit frapper à la porte, mais elle garda toujours le visage de l’enfant en mémoire, un enfant dont le vœu le plus cher était juste de rendre son père fier.
Claire Godet