[#Nous avons vu] Eleonora Duse : la dernière scène d’une comédienne face à l’Histoire
Avec Eleonora Duse, présenté à la Mostra de Venise, Pietro Marcello dresse un portrait sobre et mélancolique de la grande tragédienne italienne. Plutôt qu’un biopic flamboyant, le réalisateur de Martin Eden signe un film sur la fin d’une vie, celle d’une artiste épuisée par la maladie et par son époque. Valeria Bruni Tedeschi y trouve un rôle à la mesure de sa sensibilité : celui d’une femme que la scène maintient debout alors que tout s’effondre autour d’elle.
Eleonora Duse (1858-1924), immense figure du théâtre européen, fut surnommée “la Sarah Bernhardt italienne”. Marcello ne raconte pas sa gloire, mais son déclin. Il la montre vieillissante, ruinée, rongée par la tuberculose, refusant de renoncer à son art. Cette obstination devient la matière même du film : un combat silencieux contre le corps et le temps.
Le cinéaste ne cherche pas à héroïser son personnage. Il en montre les contradictions : compatissante envers les soldats mutilés, dure avec sa fille (Noémie Merlant), et parfois naïve lorsqu’elle accepte le soutien de Mussolini sans en mesurer les enjeux. À travers elle, Marcello interroge la place de l’artiste dans un monde en mutation, pris entre engagement, vanité et aveuglement.
Un film entre histoire et mémoire
Le récit, ponctué de documents d’archives, inscrit la trajectoire de Duse dans la tourmente d’une Italie blessée par la guerre et menacée par le fascisme. Le montage alterne entre fiction et images d’époque — funérailles nationales, trains recouverts de fleurs, visages anonymes — pour rappeler que l’art et la politique ne cessent de se croiser.
Le regard de Marcello reste mesuré : il ne mythifie pas son héroïne mais observe la tension entre sa grandeur passée et la fragilité du présent. Sa mise en scène, à la fois élégante et retenue, privilégie les silences et les visages.
Valeria Bruni Tedeschi, une interprétation habitée
Valeria Bruni Tedeschi habite le rôle avec une intensité contenue. Elle évite l’excès et laisse affleurer les failles : la fatigue, le doute, la peur du vide. Son jeu oscille entre fièvre et épuisement, donnant à Duse une humanité que le mythe avait parfois effacée. Noémie Merlant, qui joue le rôle de sa fille, lui donne la réplique dans un face-à-face tendu et touchant, entre colère et affection.
Une méditation sur la fin et la fidélité à soi-même
Eleonora Duse n’est ni une célébration ni une tragédie grandiloquente. C’est un film sur la persistance — celle d’une femme qui refuse d’abandonner ce qu’elle aime, quitte à s’y perdre. Pietro Marcello livre une œuvre discrète, parfois austère, mais traversée de moments de grâce. Entre la poussière des théâtres et les ombres de l’Histoire, il esquisse un adieu sans emphase à une icône du théâtre italien et, plus largement, à l’illusion de toute gloire durable.
Eleonora Duse
De Pietro Marcello, 2025, 123 min
Italie, France ; VOSTF – Langue : italien
Diffusion : Mercredi 15 octobre, 21:00
Samedi 18 octobre, 14:00
Léo Fonteneau, envoyé spécial au Festival international du Film de La Roche-sur-Yon