[#Cadavre exquis] Lundi. Les Histoires sont des graines
Un jour au festival. Des films. Une histoire.
Chaque matin, sur le principe du cadavre exquis, découvrez en une histoire courte, la programmation des films de la journée.
« Les histoires sont des graines. »
C’est ce que me répétait sans cesse ma mère. Pourtant, ce n’était pas la meilleure, je dirais même que c’était la pire mère au monde.
Enfin… si je dis ça, elle va se vexer. Et puis, ce n’est pas tout à fait vrai. En réalité, elle essayait d’être la meilleure, mais elle était surtout très maladroite.
Elle disait que les histoires grandissaient dans nos esprits comme des plantes, et que plus on en lisait, plus on devenait vivant.
Elle me le prouvait sans cesse avec sa voisine, Sarah. « Regarde, disait-elle, celle-là a dû lire des histoires sur l’athlétisme, pas sur les autres sports… »
Et elle ajoutait en riant : « C’est normal que Sarah préfère la course. »
Elle adorait m’emmener à la bibliothèque, parce que pour elle, c’était une gigantesque boîte à graines, un endroit qui nous poussait à rêver, à nous réinventer. Elle appelait ça sa boîte à vies, comme si chaque livre était une porte ouverte sur une autre existence.
Peut-être que si j’avais lu un roman sur une princesse odieuse, je serais devenue une Connasse, princesse des cœurs.
Ou si j’avais préféré les livres sur les animaux, j’aurais monté ma propre ferme. Une ferme que j’aurais appelée la ferme d’Elena, en hommage à ma première chienne, le seul qu’elle ait un peu toléré.
Ma mère n’aimait pas vraiment les animaux, ni la campagne d’ailleurs.
Elle préférait les vitrines des pâtisseries en ville; et adorait déguster son dessert favori : le mille-feuille.
Quand j’étais petite, je n’arrivais jamais à le dire correctement. Je réclamais sans arrêt : « Maman, je veux un Mille et une feuilles ! »
Elle se moquait, mais je crois que ça la faisait fondre un peu, dans le fond.
Parfois, après nos chamailleries, elle m’emmenait au parc. On s’asseyait sur un banc, et elle me demandait d’écouter le secret des mésanges. Elle disait que ces oiseaux connaissaient tous les secrets du monde, qu’ils savaient comment guérir les peines.
Moi, je n’entendais qu’un piaillement désordonné. Ma mère, elle souriait comme si chaque note lui ouvrait un autre monde.
Un jour, elle m’a raconté l’histoire d’un garçon, un rêveur qui traversait la terre sans valise.
Elle l’appelait le garçon et le monde.
Elle disait qu’il cherchait sa place, un peu comme moi.
Alors qu’en réalité, ce n’était qu’un baroudeur.
Je pensais qu’elle aurait aimé être à la place de ce garçon, voyager à travers le monde, découvrir ce qu’elle avait manqué.
Et c’est ce qui arriva. Un matin, elle est partie loin. Très loin.
Presque Out of Africa, comme elle disait en riant, parce qu’elle avait besoin de chaleur, de lumière, et peut-être d’un peu de paix.
Au début, je lui en ai voulu. Je croyais qu’elle m’abandonnait encore.
Mais plus tard, j’ai compris : elle ne fuyait pas, elle réalisait simplement les rêves qu’elle n’avait cessé de repousser après ma naissance.
Aujourd’hui, il ne nous reste plus grand-chose à partager. Quelques souvenirs éparpillés, des rires un peu abîmés… et l’amour qu’il nous reste. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est assez pour continuer à faire pousser les histoires avec les graines qu’elle a semées.
Inès Giraud
Envoyée spéciale au Festival international du Film de La Roche–sur-Yon