[#Cadavre exquis] Dimanche. Les visages qu’on laisse derrière soi

Un jour au festival. Des films. Une histoire.
Chaque matin, sur le principe du cadavre exquis, découvrez en une histoire courte, la programmation des films de la journée
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Chaque année, c’est la même chose : je refais ma valise comme si j’allais disparaître.
La fille à la valise, c’est moi. Une héroïne sans ticket retour.

Je pars avec Ancestral visions of the future en tête, des images de mondes qui se répètent, se réinventent, se fissurent. Les trains, les gares, les gens qui dorment sur leurs bras pliés. Les voyages de Théreza me reviennent souvent en tête quand je m’endors dans les bus. C’est peut-être ça, vieillir : s’endormir en route, sans trop savoir vers où.

J’ai croisé l’étranger dans un café à Lisbonne. Il parlait de Hamnet et de la douleur de survivre à quelqu’un qu’on aime trop tôt. On a ri, puis il a disparu. Comme tous les personnages secondaires des films primés de la vie : brillants, mais éphémères.

Plus tard, au bord du lac nommé « le lac éphémère », j’ai rencontré une famille à louer — une Rental familyun bien drôle de concept. Ils m’ont offert un repas chaud, un silence doux, une photo de groupe que je garde encore dans mon téléphone.
Leur petite fille m’a dit : « Tu devrais écouter La voix de Hind Rajab, elle sait ce que c’est que d’avoir peur du ciel. »
Je n’ai pas su quoi répondre.

Sur le chemin du retour, à Arco, j’ai vu une lumière étrange dans le ciel, un arc suspendu entre deux orages. Cela m’a fait penser à un retour vers le futur et à la possibilité de corriger ce qu’on a mal vécu.
Mais le présent ne se réécrit pas : il s’habite, maladroitement.

À Omaha beach, le vent soufflait comme dans Where the wind comes from.
Je me suis mise à écrire. Pas une histoire d’amour, pas vraiment. Plutôt une liste de choses que je n’ai pas su dire. Le texte s’appelait L’amour qu’il nous reste.

Quand je l’ai lu à mon ami américain, l’ami américain, c’est son surnom. Il a dit :
« Tu rétrécis. » Peut-être qu’il avait raison. L’homme qui rétrécit, c’était moi.
Chaque départ, chaque souvenir, chaque visage oublié : un centimètre de moins. Je disparaîtrai bientôt.

Mais parfois, entre deux gares, je sens les Ghost elephants qui marchent à côté de moi.
Des fantômes doux, lourds de mémoire, une métaphore qu’utilisait ma mère.
Et je me dis que tout ça a un sens. Que the mastermind derrière le chaos, c’est peut-être le hasard.

Alors je range mon carnet, je regarde le paysage défiler, et je pense à tous les films que je ne verrai jamais.
À tous ceux qui continuent sans moi.
Parce qu’au fond, les enfants vont bien.
Et le cinéma aussi.

 

Alicia Chedhomme

Envoyée spéciale au Festival Internationale du Film de La Roche-sur-Yon