[#Nous avons vu] Where the Wind Comes From : un souffle de liberté sur les routes de Tunisie

Sur les routes brûlantes du sud tunisien, entre champs d’oliviers, lumière ocre et horizon infini, Amel Guellaty signe avec Where the Wind Comes From un road movie solaire et sensible, traversé par un souffle de liberté et de désillusion. Ce premier long-métrage, récompensé du Golden Bee Award du Meilleur long métrage au Festival du film méditerranéen de Malte en juin 2025, dresse le portrait vibrant d’une jeunesse tunisienne qui, quatorze ans après les rêves du Printemps arabe, voit ses espoirs s’éroder au vent du quotidien.

Alyssa (Eya Bellagha), 19 ans, refuse de se résigner. Rebelle, fantasque, débordante de vitalité, elle rêve d’un ailleurs – d’une vie qui ne serait pas dictée par les traditions, la pauvreté et le désenchantement. Face à elle, Mehdi (Slim Baccar), 23 ans, son ami d’enfance, son frère de cœur, plus calme et résigné, essaie simplement de trouver un emploi stable. Mais sous ses airs apathiques se cache un artiste frustré, un dessinateur talentueux à qui la vie n’a jamais laissé le temps d’éclore.

Lorsque Alyssa découvre un concours d’art dont le prix est une résidence en Allemagne, elle y voit une échappatoire et convainc Mehdi d’y participer. Le concours se tient à Djerba, à plus de cinq cents kilomètres de Tunis. Commence alors un périple improvisé, à bord d’une vieille voiture, sous le soleil brûlant d’un pays magnifique et contraint. Le film s’ouvre sur des teintes chaudes, presque picturales : la Méditerranée, les collines sèches du Sahel, les routes poussiéreuses bordées d’oliviers. La beauté des paysages contraste avec l’enfermement intérieur des personnages, un paradoxe qui constitue le cœur poétique du film.

Entre humour, tendresse et désillusion

La réalisatrice, formée auprès d’Olivier Assayas et d’Abdellatif Kechiche, déploie un ton singulier, à la croisée du drame social et de la comédie tendre. Where the Wind Comes From n’est jamais pesant : les dialogues pétillent, l’humour allège les tensions, et la complicité entre Alyssa et Mehdi infuse le récit d’une chaleur humaine rare. Le film s’ouvre sur des éclats de rire, des disputes, des silences partagés – cette intimité banale et bouleversante qui fait la force du duo.

Mais peu à peu, la route devient un miroir. Au fil des kilomètres, les blessures remontent, les rancunes éclatent. Alyssa, derrière sa fougue, cache une peur immense : celle d’être condamnée à rester là où elle est née, prisonnière d’un pays et d’un destin qu’elle n’a pas choisis. Mehdi, lui, découvre que sa soumission tranquille n’est qu’un masque, et qu’il lui faudra oser désobéir pour exister. Le road trip vire alors à une odyssée intérieure, entre rires et larmes, où les paysages se chargent de symboles : le désert devient silence, l’océan promesse d’exil, la lumière, un refuge fragile.

Un portrait générationnel empreint de lyrisme

Avec son regard à la fois lucide et bienveillant, Amel Guellaty peint le portrait d’une génération post-2011 qui tente encore d’y croire. Alyssa et Mehdi incarnent ce double mouvement : la rage de vivre et le sentiment d’impuissance. Leur amitié, faite de contradictions, devient le reflet d’un pays tout entier – jeune, fatigué, mais encore debout.

Guellaty filme ses personnages avec une douceur qui n’exclut pas la critique. Sans jamais verser dans le didactisme, elle montre comment les normes patriarcales, la précarité et le désenchantement politique pèsent sur les rêves individuels. Mais le film ne se réduit pas à un constat social. Par touches poétiques : un dessin qui s’anime, un regard échangé sous le vent du soir, la cinéaste ouvre des espaces de respiration, de rêve et d’humour.

Le travail visuel est somptueux : la lumière dorée, la texture du sable, les teintes pastel du crépuscule tunisien composent un tableau sensoriel d’une grande beauté. Chaque plan semble caressé par le vent du titre, ce souffle invisible qui pousse les personnages à avancer malgré tout.

Une ode à la jeunesse et à la liberté

Sous des dehors simples, Where the Wind Comes From s’impose comme un récit d’apprentissage sincère et délicat, qui interroge la difficulté de tracer sa propre voie dans un pays en transition. Amel Guellaty y déploie un regard juste sur une génération partagée entre attachement et désir d’ailleurs, sans appuyer le propos ni forcer l’émotion.

La performance d’Eya Bellagha, récompensée au Festival du film méditerranéen de Malte, apporte au personnage d’Alyssa une énergie vive et nuancée. Slim Baccar, en contrepoint, compose un Mehdi réservé et attachant : leur duo donne au film sa tonalité la plus juste, entre complicité et désaccords.

Sans chercher l’effet ni le grand discours, Where the Wind Comes From séduit par la sincérité de son regard et la chaleur de son univers. Dans la lumière dorée des routes tunisiennes, Amel Guellaty signe un premier long métrage prometteur, à la fois sensible, ancré et ouvert sur l’avenir.

de Amel Guellaty, 2025, 99min
Tunisie, France, Qatar ; VOSTF – Langues : arabe, français
Diffusion : Mardi 14 octobre à 16h30 au CYEL
Vendredi 17 octobre à 9h30 au Concorde
Dimanche 19 octobre à 16h45 au Concorde
Léo Fonteneau
Envoyé spécial au Festival international du Film de La Roche-sur-Yon