[#Nous avons vu] BOUCHRA
Bouchra est un film d’animation singulier où tous les personnages sont représentés par des animaux aux personnalités comiques et touchantes. Une exploration profonde d’une relation mère-fille et d’un tabou qui a rempli leur vie de silence. Découvrez le travail d’Orian Barki et Meriem Bennani, toutes deux documentaristes et réalisatrices et courez voir leur film transcendant.
Bouchra, 35 ans, est une coyote comme sa mère. Vivant à New-York, c’est une cinéaste marocaine paralysée par le syndrome de la page blanche. Un jour, un appel de sa mère, cardiologue et vivant à Casablanca, fait ressurgir des souvenirs de sa vie passée après une annonce surprise qu’elle a fait à ses parents neuf ans plus tôt. En effet, Bouchra, encouragée par son ancienne partenaire, avait envoyé une lettre à ses parents pour leur annoncer son homosexualité. Cela a créé un silence, un silence qui dure depuis neuf ans. Depuis, entre la mère et la fille, la relation n’est pas haineuse mais très compliquée, comme si elles n’osaient pas vraiment dire ce qu’elles ont sur le cœur. Ce sujet tabou met mal à l’aise sa famille d’origine marocaine. De son côté, Bouchra n’ose plus se confier. Pourtant, après cet appel, elle décide de contacter plusieurs fois sa mère pour comprendre pourquoi elle n’a jamais eu de réponse à sa lettre et pour savoir si elle acceptait sa sexualité. Ces appels vont rythmer tout le film, illustrer cette recherche d’explications, qui donnera naissance à un documentaire sur sa propre vie. Elle explore ses relations familiales, amicales et amoureuses et documente le tout en dessinant des scènes comme futur scénario.
Une mixité des cultures
Durant tout le film, trois langues sont parlées : l’arabe, le français et l’anglais, trois langues que maîtrise Bouchra. Elle parle marocain et français avec certains de ses amis et sa famille et elle utilise l’anglais parce qu’elle habite à New-York. Au début du film, une musique aux sonorités berbères se fait entendre, car Bouchra est sur son téléphone en train de regarder une émission radio, avec un chanteur parlant arabe. Flavien Berger a notamment travaillé sur les musiques de ce film et crée une ambiance nous faisant voyager à travers les pays et les cultures.
Aussi, Bouchra, dans ses aventures amoureuses, est souvent sortie avec des femmes ne parlant pas sa langue maternelle, à savoir le français. Cela la perturbe et elle en parle à une amie. Jusqu’au jour où, après une rupture amoureuse avec la femme qui a partagé sa vie pendant neuf ans, elle découvre une maman d’un petit garçon qui est dans la même classe que sa nièce. Celle-ci parle aussi français, ce qui change les choses et fait qu’elle et Bouchra se rapprochent.
Par ailleurs, Bouchra ressemble beaucoup à sa mère. Cette dernière est aussi une artiste qui a fait le choix de la peinture et de la sculpture. Elles partagent la même peur, les mêmes goûts et une ressemblance physique frappante.
Ainsi, Bouchra, en plus d’une recherche sur sa mère et son passé, fait aussi une recherche sur elle-même et ce qu’elle souhaite réellement. Elle le documente à travers ses réflexions, discussions et angoisses tout en nous montrant son quotidien entre trois langues et cultures différentes.
Une expérience à vivre
Ce film peut perturber au départ, notamment avec la complexité de l’appel entre Bouchra et sa mère. Aussi, l’histoire de la coyote cinéaste se définit petit à petit, car nous suivons le récit de sa vie. Le contexte ne nous est donc pas donné dès le début et nous ne savons pas forcément à quoi nous attendre.
Pourtant, nous pouvons aussi décider de nous laisser porter par le flot des événements. C’est d’ailleurs plutôt agréable, car l’animation 3D est remarquable. Nous ressentons tout à fait la personnalité de chacun des personnages-animaux. Leurs styles, leurs mimiques, tout est très réfléchi et travaillé avec soin.
Le premier long-métrage d’Orian Barki et Meriem Bennani combine de nombreuses techniques (animation, documentaire, structure narrative, …) ce qui le rend original. D’autant plus que les chara designs se démarquent avec une grande maîtrise de l’anatomie des animaux-humanisés. Le travail des couleurs et de la ville est aussi intéressant. Nous pouvons supposer qu’en fonction de l’état de Bouchra, les couleurs s’assombrissent et s’éclaircissent. La ville de New-York et le petit studio de Bouchra sont comparés à la maison avec jardin de ses parents, beaucoup plus chaleureuse et colorée. Au fur et à mesure de l’avancée des recherches de la coyote, son quotidien s’améliore et son cadre de vie aussi. Les paysages, décors, habitations, éléments naturels sont si bien animés qu’on croirait regarder des images de la réalité.
Ce film, au-delà de l’histoire de Bouchra, est une œuvre d’art absolument poignante qui raconte bien plus que le quotidien d’une coyote cinéaste queer, et fait prendre conscience de la nécessité d’un retour en arrière pour mieux se projeter vers l’avenir.
Film de Orian Barki, Meriem Bennani, 2025, 85min
VOSTF – Langue : arabe, français, anglais
Jeanne Boisteault
Envoyée spéciale au Festival international du Film de La Roche-sur-Yon
