[#CADAVRE EXQUIS] Jeudi. Les larmes de septembre
[Chaque jour, et sur le principe du cadavre exquis, redécouvrez en une histoire courte, la programmation des films de la journée]
Gloria s’était toujours vue comme une héroïne, mais pas dans le sens traditionnel du terme. Dans son propre film intérieur, elle se sentait un peu comme dans Your Monster ou Les amis de Sophie, des récits où l’on se bat contre des forces invisibles. Elle se souvenait encore des larmes qu’elle avait versées devant Problemista, ce film qui semblait exprimer à la perfection la complexité des choix impossibles qui rythmaient son quotidien. Pourtant, elle savait qu’elle n’avait pas le beau rôle dans sa propre vie. Non, elle n’était ni l’étoile montante d’une Dream Team, ni la figure centrale d’un film à la Attenberg, où tout finit par se dévoiler dans un moment d’épiphanie.
Sa vie ressemblait plutôt à une version moderne de Filles perdues, cheveux gras, où chaque journée était une lutte contre l’absurdité. Ces jours de septembre, qu’elle aimait appeler « September says », passaient rapidement, gris et sans éclat, tandis que le souvenir de Fogo do vento – ce tourbillon de feu et de vent qui avait tout ravagé dans son village natal – continuait de la hanter. Là-bas, elle avait cru à l’amour, ce feu brûlant et passionné, mais qui s’éteint brutalement, ne laissant que des cendres. Une relation toxic, mais si real que même ceux qui rougissent normalement n’auraient pu contenir les larmes devant la tristesse de cette histoire vécue.
Elle avait traversé tant d’épreuves par amour, comme cette fois où elle s’était perdue à Istanbul, lors d’un périple qu’elle nommait Crossing Istanbul. Ce voyage n’était pas seulement une découverte géographique, mais une traversée intérieure où elle tentait de recoller les morceaux de son existence éclatée. Elle savait, pourtant, que sa vie n’avait rien de poétique comme dans un film Made in England, surtout The film of Powell and Pressburger. Sa réalité était plutôt faite de Cent mille milliards de petites décisions, chacune pesant plus lourd que la précédente.
Malgré tout, Gloria continuait d’avancer. Pierce, son ex, disait souvent qu’elle piquait comme une abeille.
«You sting like a bee, dear », avait-il l’habitude de dire après chaque dispute
Maintenant, Gloria savait bien que la magie et l’évasion ne trouveraient plus leur place dans sa vie quotidienne. Sa vie ne ressemblerait jamais à celle d’Emmanuelle, la nouvelle petite amie de Pierce. Pourtant, elle savourait les petits moments de répit, ces favoriten moments où tout semblait un peu plus doux.
Pour oublier tous ces souvenirs, Gloria se réfugiait souvent dans les livres et les films, cherchant des échos de sa propre vie dans des histoires où les personnages, comme elle, se débattaient pour trouver du sens. Elle se souvenait encore de cette rencontre : l’adaptation littéraire au cinéma, où une discussion lui avait apporté un réconfort inattendu, un lien chaleureux, une familiar touch qui lui avait rappelé combien les connexions humaines pouvaient être précieuses. Ces leçons, elle les gardait en elle, comme la plus précieuse des marchandises, et les notait soigneusement dans un petit carnet qu’elle appelait The Paragon. Mais même avec ces modèles de sagesse, le poids de la vie restait omniprésent, une sorte de A real pain, comme elle avait l’habitude de dire, et qu’elle ressentait chaque jour.
Ses trois amies étaient son seul ancrage dans son monde bancal. Elles partageaient une connexion sincère, une amitié sans masque. L’une d’entre elles, timide, rougissait encore au moindre compliment – un détail que Gloria trouvait touchant, rappelant que la vulnérabilité pouvait encore exister dans ce monde toxique.
Lors des nuits les plus noires, Gloria et ses amies évoquaient parfois Nightbitch, cette créature mystique qu’elles avaient inventée, symbole de leurs peurs et de leurs désirs inassouvis. Ce fruit de leur imagination hantait leurs pensées, les poussant à rêver d’évasion, comme le personnage de Two Years at Sea, s’isolant du monde pour enfin trouver la paix.
Mais Gloria savait au fond d’elle que la vie n’était pas un conte de fées. Elle avait appris à accepter la réalité, à vivre avec ses cheveux gras et cet air perdu qu’elle arborait sans cesse. Elle savait que Nightbitch finirait par disparaître un jour, tout comme les ombres qui la suivaient. En attendant, elle continuait sa quête, espérant qu’au bout du chemin, elle découvrirait encore quelque chose de précieux à trouver, une vérité simple, mais essentielle pour donner un sens à tout ce qu’elle avait traversé.
Caroline Priam