« Le bon roi et le poisson », un (long) conte de Gwenola Cueff
Gwenola Cueff a créé le conte « Le Bon Roi et Le Poisson », à partir de 2 cartes du jeu DIXIT tirées au sort (ci-dessous), et en cherchant à coller à la structure narrative dite du « Voyage du héros » (ce qui est réussi)…
Chapitre I
Très très loin d’ici dans un joli royaume ombragé, vivait un gentil roi barbu et son poisson rouge dont il ne se séparait jamais. Si bien que le poisson en question habitait dans un bocal rond, niché en plein milieu de la longue barbe du roi. Ses poils étaient tellement durs et sa barbe tellement épaisse qu’il n’avait aucun mal à faire des noeuds autour du bocal de Mà Làsko. C’était le nom de ce petit poisson aux reflets orangés et dorés et seul le roi savait ce qu’il signifiait. Pour lui il signifiait tout, tout son jardin secret tenait dans ce doux nom qu’il lui donnait. Quand on parlait au roi de son poisson, il disait toujours « Ne vous fourvoyez-pas mes chers sujets, c’est une femelle poisson» et tout le monde partait d’un rire cristallin, ne comprenant pas l’insistance du roi sur ce détail du genre. Et pourtant, ce poisson-là était bien une femelle, toute ronde avec des yeux de biche comme si on y avait délicatement posé du mascara; et une bouche rosée et pulpeuse comme une actrice de cinéma. Ses écailles n’étaient pas rêches comme la barbe du bon roi, elles étaient soyeuses et s’agitaient dans l’eau bleue comme des fils de soie argentés. On ne pouvait jamais les toucher, mais on ressentait leur douceur avec nos yeux.
Dans le royaume de La feuille d’Or, il y avait donc un roi bienveillant, son poisson semblable à une de ces fées enchanteresse, des sujets affectueux et admiratifs devant leur roi, le seul roi qu’ils n’aient jamais connu. Personne n’osait hausser le ton, débattre sur un quelconque sujet de discorde quotidien ou raconter des méchancetés sur leurs voisins. Ce n’est pas qu’ils n’osaient pas, c’est surtout qu’ils n’en ressentaient pas le besoin. Il faisait bon vivre ici, le roi ne les oubliait jamais et passait le plus clair de son temps à leurs côtés, puis il leur permettait de vivre aisément grâce à son système ingénieux d’auto-suffisance. Des idées pour rendre le monde meilleur, il en avait en pagaille et c’est pour cela qu’il était devenu « le roi de La Feuille d’Or ». Ce sont les habitants qui l’avaient voulu, lui n’avait jamais prétendu à ce titre.
C’était un roi généreux et aimant, mais on pouvait voir dans son regard une tristesse infinie. Si beau et charismatique qu’il eut été, ce roi vivait perpétuellement dans le souvenir de sa femme, disparue un an auparavant. C’était un sombre jour que ce mardi-là, le royaume entier avait perdu son joyau, le diamant qui faisait scintiller la cour et tout leur univers. Anna, sa défunte femme, avait été son pilier et son bras droit durant si longtemps, et tous leurs sujets étaient comme leurs enfants. Car d’enfant, ils n’en avaient jamais eu ensemble. Le peuple n’avait jamais réellement su ce qui était arrivé à Anna ce jour-là, mais personne n’osa le demander. Non loin de ce merveilleux royaume vivaient des personnes bien moins sympathiques. Ils habitaient le village abandonné de Potimarron et jalousaient horriblement la belle vie des habitants de La Feuille d’Or. Dirigés par le prince et la princesse de la nuit, ils se disputaient toute la journée, lançaient des pierres sur les écureuils pour le plaisir et passaient leur temps à élaborer des plans farfelus pour monter sur le trône du roi Félix. Pour cela ils complotaient depuis plusieurs siècles et leur plan allait bientôt être mis à exécution.
Le roi savait que s’il n’avait pas d’enfant, ce serait cet idiot de prince avec sa tête en forme de citrouille qui aurait son trône et qu’il mettrait à mal son précieux royaume en malmenant ses habitants.
Chapitre II
Un beau jour où chacun faisait son marché sur la place d’Automne, le roi avait décidé de se reposer en lisant sur le tronc d’or dans son jardin. Soudain il entendit gronder le tonnerre dans ce ciel toujours si bleu et paisible qui le surplombait, et là juste devant lui atterrirent sur leur gargouille volante le prince fou et sa majestueuse fiancée de la nuit. Le roi, de surprise et de peur, chancela de tous les côtés et tomba de son tronc la tête la première. Cela provoqua un fou rire machiavélique de la part des deux méchants qui venaient d’arriver.
« On est venu te voler ton joli poisson Félix, nous savons toute l’histoire désormais. Si tu veux le récupérer deux solutions s’offrent à toi, dirent-ils d’un air sarcastique. La première, qui est de loin la meilleure selon nous, serait de nous céder le trône de Feuilles sur le champ. La seconde, et nous sommes d’ores et déjà persuadés que tu échoueras, est de réussir à capturer la clé d’or volante et de nous l’offrir gracieusement afin de nous rendre éternellement riches. Il te reste exactement vingt-neuf sabliers pour te décider, Félix. »
Il ne fallu pas plus de deux sabliers avant que le roi ne prenne sa décision et s’en aille le clamer à ses fidèles habitants du haut de son balcon.
« Mes chers sujets, je suis en peine aujourd’hui de venir vous donner cette nouvelle. Le prince de Potimarron nous a déclaré la guerre et j’ai décidé de mener la bataille pour sauver ma femme ! »
Une vague de surprise traversa la foule réunie sur la place Royale. Le roi avait commis une très grave erreur… Il n’avait plus le choix, il leur devait la vérité, à eux qui l’avaient toujours soutenu et aimé. Il eu enfin le courage de leur dire la vérité sur ce qui était arrivé à sa tendre femme. Et la voici :
Un jour qu’elle lisait un magazine et observait les portraits de modèles, Anna fût fut épouvantée. Se sentant soudainement trop vieille et rabougrie, elle se rua chez le magicien du royaume pour lui implorer d’exaucer son souhait :
«Bonjour Edgar, j’espère que vous êtes en forme aujourd’hui ? Je voudrais vous demander un service de la plus haute importance. Très beau costume, au passage.
– Bonjour ma reine, c’est bien aimable à vous. Je l’ai fait faire par le costumier du roi en personne il y a 100 ans ! Mais dites-moi dont, qu’est qui vous plairait ?
– Je souhaite que vous me concoctiez un élixir très puissant pour combler mes tristes rides. Je le veux ce soir même.
– Eh bien ma reine, contre les ravages du temps il se pourrait que même la magie n’apporte pas de solution… Je pourrais bien essayer ce vieux sortilège ancestrale, une potion ne servirait à rien. Mais je ne vous garantis pas que…
– N’attendez plus, Edgar, je ne veux plus voir ces creux abîmer mes yeux de biche ! »
Et le magicien, docile et obéissant, s’exécuta sans avoir pu lui expliquer les conséquences d’un sortilège raté. Ce que la reine ne savait pas non plus, c’est que le magicien, se faisant de plus en plus vieux, était devenu incompétent dans son métier et ratait la moitié de ses potions et sortilèges…
« Supercalifragilisticexpialidocious, et que les effets du temps, disparaissent ! »
« Voilà l’histoire, je sais qu’Anna ne voulait pas que je la raconte car elle avait trop honte. Nous avions notre dialecte à nous, depuis sa transformation. Notre magicien a exécuté le sort ce jour-là et ma femme, si coquette et si ravissante fut-elle, s’est transformée en poisson… , dit le roi dans un souffle à peine audible. »
La foule fut stupéfaite, un silence s’installa sur la place royale et l’on devinait que chacun réfléchissait à ce qu’il venait d’apprendre.
« Moi aussi j’aurais pu demander cet élixir si j’avais un magicien à ma portée ! On ne peut pas la juger», s’écria une femme.
« Oui c’est vrai, moi aussi j’aurais aimé faire disparaître mes pattes d’oie», confia un homme d’une cinquantaine d’année. La rumeur montait, les gens débattaient et chacun donnait son avis.
« Je vous suis très reconnaissant de réagir si bien. Mais il y a encore autre chose dont je dois vous parler, mes amis. Peu avant ce malheureux incident, Anna venait m’annoncer qu’elle attendait un enfant et que cela l’enchantait, elle était sur son petit nuage. Vous imaginez à quel point cette nouvelle allait tout changer dans nos vies, à tous. Si elle retrouve son apparence humaine, alors l’enfant naîtra ; tant qu’elle reste ainsi, rien ne se passera. »
Entre joie, étonnement et inquiétude, tout le monde était d’accord pour pardonner à la reine Anna son manque de méfiance et son impulsivité. Ils aideraient le roi à obtenir cette clé d’or qui éloignerait à jamais les deux vilains de Potimarron, et le couple royal leur donnerait une petite princesse ou un petit prince.
Le roi réfléchit et ordonna à ses loyaux amis d’attendre son retour calmement chez eux. Il ne voulait pas les mettre en danger, et il partirait avec le magicien, la fée et son cheval.
Chapitre III
Ils partirent dès le lendemain en quête de cette clé d’or volante. Il fallait pour cela traverser le labyrinthe d’érables, et surtout, il fallait invoquer la magie pour parvenir à voler. Le roi demanda au magicien d’ajouter des ailes à son beau cheval blanc, mais il n’obtint qu’une carotte à la place du museau. La fée savait voler, mais elle était si déprimée après sa rupture avec le costumier, qu’elle ne faisait que pleurer et son chagrin la rendait si lourde qu’elle ne s’envolait pas. Le roi n’était pas aidé, mais il se démenait corps et âme pour capturer cette maudite clé. « L’argent est la cause de tous les maux», pensait-il.
C’est alors qu’après de nombreux échecs, la petite troupe rencontra une famille de singes. Ils expliquèrent ce qu’ils cherchaient et les problèmes qu’ils avaient rencontrés. Ils parlèrent d’Anna, du poisson, des deux méchants. Les singes furent émus par cette histoire et décidèrent de les aider. Tous ensemble, ils seraient plus fort. Les singes, eux, n’avaient aucun intérêt à posséder cette clé, ils n’étaient pas animés par le besoin d’argent. Ils avaient même déjà vu passer la clé près de leur maison, et avaient déjà joué avec quelques fois.
Les singes leurs construisirent une petite cabane très simple mais confortable pour que le roi et ses amis puissent se reposer le temps qu’ils mettent la main sur la clé, qui se montrait rarement aux yeux de tous. Cela dura quelques jours, mais le roi fut si bien
accueilli qu’il se surpris à aimer vivre de petites choses très simples, entouré de la nature et des animaux sauvages.
Enfin, un matin ensoleillé, les singes revinrent avec la précieuse clé dorée qui rendrait à Anna son apparence humaine. Le roi, le magicien, et la fée, comblés par leur séjour et ressourcés, remercièrent mille fois les singes et leur promirent de revenir les voir lorsque l’enfant serait né.
« Si vous acceptez, je voudrais que vous soyez les parrains de mon enfant.
– Hourra, oui ! Nous acceptons, hurlèrent les singes en cœur. »
La joyeuse troupe rentra au village en tenant précieusement la clé, qu’ils brandirent fièrement devant tous les habitants lors de leur arrivée. L’échange entre les deux méchants et le roi se fit dans la journée et Félix retrouva son poisson, son Anna. Le magicien et la fée, qui avaient retrouvé leur jeunesse lors du séjour dans la nature, unirent leurs forces et réussirent à annuler le sortilège. Le poisson redevint Anna !
Les premiers jours, elle fut quelques peu désorientée, et elle passa de longues heures à raconter à ses amis de La Feuille d’Or ce qu’elle avait ressenti enfermée dans ce bocal. « On ne devrait jamais, au grand jamais, emprisonner des animaux ainsi », répétait-elle à qui voulait l’entendre.
Épilogue
Son ventre s’arrondissait et le couple royal réapprenait à vivre ensemble, la vie reprenait son cours. Félix et Anna décidèrent de mener une vie plus simple, de bannir les magazines idiots, d’aider les animaux en danger dans le monde et de transformer leur modeste château en demeure d’accueil pour les plus démunis. Leur enfant naquit une nuit d’été, c’était une petite fille aux yeux tout ronds, et elle savait déjà nager. Tout le monde avait compris pourquoi, et cela rajoutait de la magie à son histoire. Ils l’appelèrent Ariel. Toute la ville organisa un banquet avec les légumes récoltés durant l’année, et toutes les bonnes choses que Félix savait si bien cuisiner. Les singes furent conviés, et ils trouvèrent leur place parmi ce peuple bienveillant et tolérant du petit village de La Feuille d’Or, ils ne repartirent jamais et Ariel apprit beaucoup du vieux singe, surtout à faire la grimace.
Gwenola Cueff