[Critique ciné] « Portrait de la jeune fille en feu » : l’amour brûlant
(Ce film a déjà fait l’objet de plusieurs critiques sur Hashtag-Info, avec des approches différentes, rencontrant un succès unanime auprès des étudiant(e)s. Nous avons choisi de toutes les publier, peu à peu).
Le mercredi 18 septembre dernier avait lieu la première séance Clap Campus de l’année scolaire. C’est le film « Portrait de la jeune fille en feu » de la réalisatrice Céline Sciamma qui a ouvert cette nouvelle année. Prix du scénario au dernier festival de Cannes et pré-nominé dans la catégorie des films étrangers aux Oscars, ce film embrase la critique. Ce sont Adèle Haenel et Noémie Merlant qui tiennent avec brio les rôles principaux de ce drame historique.
Céline Sciamma revient sur le devant de la scène avec un nouveau genre pour elle : un film en costume. Fin du 18e siècle, toute juste sortie du couvent, Héloïse (Adèle Haenel) refuse que l’on peigne son portrait destiné à conclure un mariage avec un noble italien, comme l’usage de l’époque le préconisait. Sa mère décide de faire passer la jeune peintre Marianne, pour une dame de compagnie auprès de sa fille : en cachette elle observera la future mariée la journée, et posera ses traits sur la toile le soir. Seulement cette supercherie ne durera pas éternellement et la relation qui unit les deux femmes évoluera bientôt en un amour ardent.
« Portrait de la jeune fille en feu » est un film aux protagonistes féminins forts. Il n’y a d’ailleurs que quatre personnages qui sont toutes des femmes. Les hommes ne font que de très brèves apparitions au début et à la fin du film. La sororité est au cœur des thématiques de ce film : les femmes s’entraident et se soutiennent, chose suffisamment rare au cinéma pour être relevée. Nombreux sont les sujets abordés qui restent d’actualité et suscitent d’ailleurs encore des débats, preuve de l’engagement politique de Céline Sciamma : menstruations, mariages forcés, avortements… On assiste d’ailleurs à une scène particulièrement puissante où la domestique d’Héloïse avorte chez une femme du village, accompagnée des deux principales protagonistes. Le couple que forme Marianne et Héloïse est fort, chacune disposant d’un réel sens de la répartie. Les dialogues sont justes et utilisés avec parcimonie. Chacune des deux actrices tire son épingle du jeu, aucune ne prenant le pas sur l’autre, ce qui aurait pu être le cas au vu de leur talent individuel.
La force de ce film réside également dans sa réalisation épurée. La photographie est irréprochable par son utilisation des couleurs, tantôt pastels, tantôt plus sombres, et nombreux sont les plans qui restent en tête : les scènes où l’on voit le visage d’Héloïse en gros plan et où le bleu de la mer en arrière-plan vient rappeler la couleur des yeux de l’actrice ; la scène de contre-jour où les trois femmes marchent pendant le coucher de soleil pour aller rejoindre la fête autour du feu… Un film de deux heures avec pas plus de 5 minutes de musique aurait pu effrayer, mais malgré un démarrage un peu lent, une fois l’histoire lancée ce long-métrage ne souffre d’aucune longueur. L’apogée du film se fait lors d’une des rares scènes musicales. Lors d’une fête autour d’un feu, les femmes présentes se mettent à un entonner un chant a cappella et en canon. Une chanson puissante (qui rappelle la bande originale du Alice au pays des merveilles de Tim Burton) qui accompagne une scène mémorable où Héloïse et Marianne échangent des regards au-dessus du brasier, scène clef puisque c’est là que tout bascule entre les deux femmes. On y comprend d’ailleurs que leur histoire est vouée à les détruire car la scène s’achève sur Héloïse qui se brûle (volontairement ?) en s’approchant trop près du feu.
Cela faisait longtemps qu’un film comme « Portrait de la jeune fille en feu » ne m’avait pas à ce point touchée. Toutes les réflexions autour de l’amour et du souvenir, mises en parallèle avec le mythe d’Orphée et Eurydice, sont sources d’un questionnement chez le spectateur.
Laurine Roy